Artistes

Pierre Besson : vit à Angers, travaille à Angers.

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Le Dépeupleur- 2018

Le Dépeupleur- 2018Arboretum, Argenton sur Creuse

D’objets noirs et de choses carrées- 2014

D’objets noirs et de choses carrées- 2014, 2014Exposition La Chapelle du Genêteil, Château-Gontier

D’objets noirs et de choses carrées, album 2- 2014

D’objets noirs et de choses carrées, album 2- 2014, 2014Exposition La Chapelle du Genêteil, Château-Gontier

Les ruines du futur

Les ruines du futur, 2010Château d'Oiron, Oiron

Terminal

Terminal, 2009MAM Galerie , Rouen

Microloft

Microloft, 2009Galerie RDV, Nantes

Insight

Insight, 2008Musée d'Angers, Angers

Microloft

Microloft, 2008Le Transpalette, Bourges

Inner

Inner, 2007Micro Onde, Vélizy-Villacoublay

Actifs/Réactifs

Actifs/Réactifs, 2003Le Lieu Unique, Nantes

Sans titre

Sans titre, 2011BU de Droit, Nantes

Expositions personnelles

2019

  • « Protocole», Musée d'Art et d'histoire, Château-Gontier

2018

  • «Voué à l'horizon», HAUS, Nantes

2016

  • Librairie Mazarine Pierre Durieu, Paris

2015

  • «À très peu de distance, à peine reculé», MAM galerie, Rouen

2014

  • « D’Objets noirs et de choses carrés», Chapelle du Genêteil, Château-Gontier

2013

  • Joye Gallery, Bruxelles

2012

  • Joye Gallery, Bruxelles

2011

  • Maison de l’Architecture, Rouen

2009

  • «Terminal», MAM galerie, Rouen
  • Galerie RDV, Nantes
  • «Insight», Musée des Beaux Arts d’Angers (cat.)

2008

  • «Microloft», Emmetrop/Transpalette, Bourges

2007

  • «Inner», Micro-onde, galerie de l’Onde (cat.), Vélizy-Villacoublay

1998

  • «Pierre Besson», Maison Billaud, Fontenay-le-Comte

1997

  • «Galerie Amers», Concarneau

1995

  • Musée municipal, La Roche-sur-Yon
  • Hôtel Huger (cat.), La Flèche

1992

  • Ecole Régionale des Beaux-arts, Rennes

1991

  • Abbaye (cat.), Bouchemaine

1989

  • École d’arts plastiques, Châtellerault

1987

  • Maison des Avocats (cat.), Nantes

1985

  • École des beaux-arts (cat.), Angers

1983

  • Galerie Arlogos, Nantes

Expositions collectives

2021

  • «L'atelier des mémoires vives et imaginaires, Art , Informatique et Cybernétique», Chapelle St Louis, Poitiers

2019

  • «Le jeu video comme objet de recherche et medium artistique», TALM, Angers
  • «Exposition RE-OX», Galerie Loire, ENSA, Nantes

2018

  • «Delivery #2», collection des Beaux-arts, Open School Galerie, Ecole des Beaux-arts, Nantes
  • «Le Dépeupleur», Arboretum Centre d'Art, Moulin du Rabois, Argenton-sur-Creuse

2017

  • « l'Art s'Emporte», collection Arthothèque, Poitiers
  • «Variables Dimensions, artists et architecture», MAAT, EDP Foundation, Lisbonne

2016

  • «City or not City», Agence Urbin, Bordeaux

2015

  • «Dimensions variables, artists in architecture», Pavillon de l’Arsenal, Paris

2015

  • «En attendant... collection #6», Quartier, Centre d’art contemporain de Quimper

2014

  • «Les heures souterraines», œuvres du Frac Pays de la Loire, Centre minier, Faymoreau
  • «Trucville», Ecole des Beaux-arts de Poitiers
  • «Ma Maison», MAM galerie, Rouen

2013

  • «Ma Maison», MAM galerie, Rouen
  • «Trucville», Galerie du Dourven, Trédez-Locquémeau
  • «Comme au cinéma», Centre d’art de Pontmain

2012

  • « Women at work», œuvres du Frac Pays de la Loire, Coachangdi Photospring Festival, Pékin
  • «Slick», Joye Gallery, Bruxelles

2011

  • «Slick», Galerie Olivier Robert, Paris

2011

  • «Hot cold», Régine Kolle, Pierre Besson, Galerie Olivier Robert, Paris
  • «Des mondes parallèles», collection Frac Pays de Loire, Musée d’art naïf, Laval
  • «L’urbanité des mediums», Backslash Gallery, Paris
  • «Trucville», Chapelle du Genêteil, Château-Gontier

2010

  • «Songe d’eau», œuvres du Frac Pays de Loire, La Barre-de-Monts
  • «Les ruines du futur», Château de Oiron
  • «Paysage et territoire», Ecole des Beaux Arts de la CC3V, Digne-les-Bains

2009

  • «Comme un boomerang», Galerie Happyfew, Berlin

2009

  • «Finitude», Chapelle du Genêteil (cat.), Château-Gontier

2009

  • «Microlofts», Espace Jean-Legendre, Compiègne

2006

  • «Artistes Pages jaunes», Galerie Magda Danysz, Paris

2005

  • «Acquisitions», artothèque Angers

2004

  • «Visitation», exposition organisée par Musicafalsa, galerie Rachlin Lemarié, Paris
  • «A comme Architecture », Galerie Duchamp, Yvetot

2003

  • « Actifs Réactifs», le Lieu Unique (cat.), Nantes
  • «Cam Projects», Miss China, Lunch Box, Paris

2002

  • «En attendant (salle d’attente n°3)», cabinet dentaire, Angers

2002

  • «En attendant (salle d’attente n°4)», Mairie, Fontenay-le-Comte
  • Festival Architectures vives, Paris

2001

  • «Qui est là ?», Abbaye du Ronceray, Angers (cat.)
  • « (h)annibal, de la lettre à l’image », Palais des Arts, Nogent-sur-Marne

2000

  • « 2 en 1», Ecole Supérieure des Beaux-arts, Angers (cat.)

1998

  • « Paris Photo», Carrousel du Louvre, Paris
  • Galerie Anton Weller, Paris

1997

  • Galerie Anton Weller, Paris

1996

  • «SAGA», Salon d’éditions, Paris

1995

  • «Chez l’un, l’autre», Galerie Anton Weller, Paris, (cat.)

1990

  • «Dimensions 7», Lyon (cat.)

1989

  • «5 artistes en Pays de Loire», Musée municipal (cat.), La Roche-Sur-Yen

1988

  • «Collections FNAC-FRAC», collection privée, La Roche-sur-Yon
  • Musée municipal Nantes, galerie des Beaux-Arts (cat.)

1987

  • «10 x 49, 10 artistes en Pays de la Loire», Musée des Beaux-Arts (cat.), Angers
  • «Cosi fan tutte», FRAC des Pays de la Loire, Fontevraud

1985

  • «Un monde naturel», Collection FRAC Pays de la Loire, maison des Avocats, Nantes

1984

  • «Nouveaux Objets illustratifs», Musée des Beaux-Arts (cat.), Chartres

1984

  • «Premiers Ateliers internationaux», Fontevraud (cat.)
  • «L’Art à l’Ouest», maison des Expositions (cat.), Genas
  • «Tilt», FRAC Pays de la Loire, espace Graslin (cat.), Nantes
  • Salon de la Jeune Sculpture, Paris

Publications, diffusions

2015

  • «Pierre Besson : Une fiction amorce», éditions Le Gac Press, Textes de Bertand Godot, Pierre Giquel, Christophe Le Gac, Bernard Marcelis, David Toop

2010

  • «Les Ruines du Futur, château d’Oiron », galerie RDV, Nantes

2009

  • «Insight, Musée des beaux-arts d’Angers», Textes de Patrick Le Nouène, Christine Besson, Alexandre Castant, Bertrand Godot

2008

  • «Finitude», Chapelle du Genêteil, Château-Gontier

2007

  • «Inner», monografik éditions Textes de Alexandra Fau Entretien avec Jean-Christophe Nourrisson dans Exporevue.com

2005

  • Texte de Christophe Le Gac, in art press, hors série, « L’architecture contre-attaque », mai 2005

2004

  • «A comme Architecture», galerie Duchamp, Yvetot

2003

  • Texte de Philippe Dagen, « Les regards des artistes... », in Le Monde, juillet 2003
  • Texte de Frédéric Emprou, Revue 303, Recherches et Créations, n°77
  • Texte de Patricia Solini et Christophe Le Gac, in Catalogue Actifs Réactifs, Nantes

2000

  • « « Pierre Besson », Qui est là ?», édition J.-M. Place, Textes de Christophe Le Gac et Claire Guézengar
  • «« Pierre Besson ou la petite fabrique d’images »», Parpaings, n°33, mai 2000
  • «2 en 1», Ecole Supérieure des Beaux-arts, Angers

1999

  • «« Pierre Besson », revue 02, n°8», Texte de Pierre Giquel

1995

  • «« Faire image » », Texte de Laurence Imbernon, La Roche-sur-Yon

1991

  • «« Les entrées multiples »», Texte de Pierre Giquel, Bouchemaine

1990

  • «Entretien avec Joël Benzakin»

1989

  • «Entretien avec Anne Dary», La Roche-sur-Yon

1988

  • « « Pierre Besson, Nicolas Hérubel, Jean-Paul Thiveau »», Texte de Olivier Biguet, Nantes
  • « « Pierre Besson, le cadre d’une sculpture »», Texte de Jean-Louis Kérouanton, 3 03, Recherches et Créations, n°19
  • «« Pierre Besson »», Texte de Jean-Pierre Nuaud, Artension, n°4, juin 1988

1987

  • «« Être dans la sculpture »», Texte de Jean-Louis Kérouanton, Angers
  • «« Le tranchant de la sculpture »», Texte de Guy Tortosa, Nantes

1985

  • «« Pierre Besson »», Textes de Michel Enrici et Hubert Tonka, Angers Bernard Martin, art press, n°90, mars 1985

1984

  • Texte de Michel Enrici, Fontevraud
  • «« Pierre Besson »», Texte de Pierre Giquel, Axe Sud, n°11
  • «« Tilt ou comment les idées viennent aux artistes »», Texte de Hubert Tonka, Chartres et Nantes

1983

  • Texte de Jean de Loisy, catalogue exposition, Nantes

Collections publiques, acquisitions

  • Artothèque de Poitiers
  • Le Ring, artothèque de Nantes
  • Artothèque de Compiègne
  • FRAC des Pays de la Loire
  • Artothèque d’Angers
  • Musée des Beaux-Arts d’Angers
  • FNAC
  • Musée de La Roche-sur-Yon
  • Pierre Besson à la Chapelle du Genêteil

    Pierre Besson à la Chapelle du Genêteil

    Première réussite de l’exposition : le display comme principe d’immersion, simple mais efficace (un sol/socle gris pâle + un bloc pénétrable de même facture) qui plonge sans détour le visiteur dans une situation sculpturale. Pierre Besson dévoile ici un scénario où se promener et condenser librement une diversité d’œuvres en une seule entité, sans pour autant priver chacune de son autonomie. La bande son de l’ensemble, pulsation hypnotique créée par David Toop pour l’installation Life on the inside, contribue à unifier la couleur de cet univers tout sauf stationnaire, défini par des focales qui se recomposent en permanence.

    La circulation du regard est essentielle dans l’exposition : l’œuvre de Pierre Besson consiste principalement à passer d’un espace à un autre, et à programmer le jeu d’une profonde désorientation, à base de détournement d’objets, de manipulations d’échelle, et d’imbrications de réalités. Comment procède l’artiste ? Il moule des éléments industriels du quotidien (pièces d’aspirateur, composants de scanners ou d’ordinateurs), et modifie leur taille, libérant des analogies avec des formes de design ou de modules d’habitation. Ces mêmes objets s’incrustent aussi dans des photos d’architectures retravaillées sur ordinateur, et montées ensuite sur caissons lumineux. La méthode est discrètement spectaculaire — et les plans trompe-l’œil s’interpénètrent pour installer de véritables fictions scopiques.

    Ces paysages photomontés, tous caractérisés, sont pourtant proches à maints égards : ils décrivent un monde « global », post-moderne, de verre et d’acier, et suggèrent un type particulier d’excursions mentales. Devant ces chimères architecturales désertées, entre apaisement et qui-vive sensoriel, on pense à James Ballard et Bruce Bégout, mais aussi à certains architectes psychotropiques — Walter Pichler, le collectif Haus-Rucker-Co ou Hans Hollein. Dans le spleen et l’ivresse de ces espaces technocratiques, Pierre Besson marquette ses propres visions intérieures au gré d’indomptables perspectives, et rejoint au passage La Maison des feuilles, celle du roman fou de Mark Z. Danielewski, dont la surface, soumise à des lois non euclidiennes, est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Quelle que soit la technique explorée (image-objet sur caisson lumineux, mais aussi alugraphie, ou sérigraphie), la composition est réglée au millimètre, la netteté de trait parfois sidérante, et la chorégraphie des ombres portées impeccable. De manière étonnante, un plaisir matiériste et pictural surgit souvent dans la douceur particulière qui se dégage de l’énergie minérale, au détour d’une surface de béton, comme drapée de brume.

    Quant aux maquettes architecturales ou objets reliés au design, ils ont une qualité de présence similaire : mentale. Volumes posés comme des énigmes closes, ils se lisent eux aussi comme les différentes pièces d’un même bâtiment cérébral. Le spectre de Giulio Camillo n’est pas loin, cet homme qui au tournant du XVIe siècle imagina la construction d’une merveilleuse machine, le Théâtre de la mémoire, un amphithéâtre de bois rempli d’images confiées suivant un ordre précis et par association d’idées pour stimuler l’imagination et raviver la mémoire. Tropisme psychologique, l’exposition de Pierre Besson raconte aussi une vision introvertie de la ville, où l’individu contemporain vit principalement seul, traversé de perceptions individuelles, en un vaste intérieur continu. À une époque où l’appartenance à des collectifs identificateurs est devenue moins prégnante, où les habitants des métropoles occidentales sont, selon la formule de Marcel Gauchet, «désenglobés», le propos de l’artiste appréhende ainsi en creux la question du « faire société », dans un contexte où s’affirme la puissance des climats affectifs solitaires, qui projettent au-dehors de soi d’étranges cartographies de l’esprit.

    Eva Prouteau

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    texte paru dans 02, 2014

    Pierre Besson, D 'ojets noirs et dechoses carrées

    Pierre Besson, D’objets noirs et de choses carrées

     

    Empruntant son titre aux paroles d’une chanson de Nino Ferrer, Pierre Besson donne le ton d’une exposition conceptuelle et sonore, traversée par les pulsations hypnotiques créées par David Toop pour l’installation Life on the inside. L’artiste déploie un paysage,  en strates et nappes, défini par des focales qui se recomposent en permanence. De fait, la circulation du regard est essentielle dans l’exposition : l’œuvre de Pierre Besson consiste principalement à passer d’un espace à un autre, et à programmer le jeu d’une profonde désorientation, à base de détournement d’objets, de manipulations d’échelle, et d’imbrications de réalités. Son protocole mérite d’être décrit : il fait le moulage d’éléments industriels du quotidien (pièces d’aspirateur, composants de scanners ou d’ordinateurs), puis modifie leur taille, libérant des analogies avec des formes de design ou de modules d’habitation. Ces mêmes objets s’imbriquent aussi dans des photos d’architectures retravaillées sur ordinateur, et montées ensuite sur caissons lumineux. Confronté à ces images et maquettes, le spectateur se voit happer par de véritables fictions scopiques, celle d’un monde « global », post-moderne, de plastique, de verre et d’acier, qui suggère un type particulier d’excursions mentales. Entre apaisement et qui-vive sensoriel, on pense à James Ballard et Bruce Bégout, mais aussi à certains architectes psychotropiques — Walter Pichler, le collectif Haus-Rucker-Co ou Hans Hollein. Dans le spleen et l’ivresse de ces grands espaces technocratiques, Pierre Besson marquette ses propres visions intérieures au gré d’indomptables perspectives, et rejoint au passage La Maison des feuilles, celle du roman fou de Mark Z. Danielewski, dont la surface, soumise à des lois non euclidiennes, est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’exposition se lit ainsi comme une série d’énigmes closes, que le visiteur cherche à pénétrer, telles les différentes pièces d’un même bâtiment cérébral.

     

    Le Carré, Scène nationale et Centre d’Art Contemporain, exposition à la Chapelle du Genêteil, rue du Général Lemonnier, 53200 Château-Gontier, du 18 janvier au 23 mars 2014.

     

    Eva Prouteau

    Texte paru dans la revue 303, n° 131, 2014,
    et dans catalogue "Artistes et Architecture, Dimensions variables", éditions du Pavillon de l Arsenal, 2015

    "Faire image pour faire espace"

    –––Bien que Pierre Besson revendique une filiation à la sculpture, son œuvre repose sur les modalités du faire-image pour faire-espace. D’emblée, il plante le décor avec des photographies d’architectures factices insérées dans des caissons lumineux. Les vues urbaines, arrachées à la réalité, puis retouchées par ordinateur, viennent se nicher dans des espaces miniaturisés aussi incongrus que des intérieurs d’écrans d’ordinateur, des colonnes d’unités centrales, des boîtes en carton… L’artiste exploite en effet la structure de l’objet pour venir y projeter comme en surimpression des vues de « non-lieux » (ponts, échangeurs, aéroports, zones portuaires, friches industrielles…).

    A une époque où toute représentation photographique éveille les soupçons, ces fictions encouragent la remise en question de la véracité de la représentation. L’artiste ne cède pas à la tentation de l’instantanéité ou de l’authentique. Son univers visuel se construit pas à pas. Il juxtapose à l’infini les images, les imbrique pour trouver la justesse du décor. Avec lui, la photographie se fait laborieuse. Pierre Besson procède par ajouts, suppressions, ablations, découpages qu’il applique virtuellement à la structure de l’habitat, à la différence de Gordon Matta Clark. Ces trucages bouleversent le statut de la photographie d’architecture. Celle qui fut longtemps envisagée comme un vestige de « ce qui n’est plus » ou de « ce qui a été » devient la projection d’un univers mental nourri de références culturelles. La photographie délaisse son pouvoir d’authentification pour se faire inventive. L’artiste « bricole » l’image pour mieux la « déréaliser » voire de la « désensibiliser » et la « déshumaniser ».

    Pour nombre d’artistes contemporains, les vues urbaines constituent une base de données visuelles à exploiter jusqu’à l’épuisement. Dans « This isn’t just in your mind », Emmanuel Lagarrigue s’approprie les photographies d’intérieurs de maisons anonymes mis à disposition sur internet. En les faisant défiler à une vitesse accélérée, il confond les images dans leur propre masse. De cet imbroglio découle une vacuité architecturale proche de l’univers photographique de Nicolas Moulin. Dans « Vider Paris », le regard se heurte violemment à la surface d’immeubles murés. Tout ce qui était censé rendre le monde réel lisible semble avoir été évacué. L’isolement sensoriel, imperceptible au début, annonce la perte d’identité. Les photographies de Pierre Besson se projettent, elles aussi, dans un futur proche où la technologie aurait gommé toute présence humaine. La lumière froide de « Microloft 5 » conjuguée à la structure en acier du pont de Bilbao confère une atmosphère presque clinique. De même, « Split » (2002) privilégie une esthétique post-pop à la fois froide et crue. Ce traitement de l’image contraste avec le pathos généré par l’éclatement de la structure architecturale dont on ignore s’il s’agit d’une vraie architecture ou bien de l’ordinateur que l’artiste aurait détruit dans un accès rageur.

    L’image photographique émerge de ce télescopage de deux réalités, celle de l’objet et celle de la représentation picturale, unifiées par le seul jeu de la perspective et de l’échelle. Ses photographies lisses, parfois monochromes, tentent de faire corps avec la structure de la boîte en s’essayant à de multiples réajustements[1]. Que ce soit dans les séries « Microloft » ou dans les photographies intitulées « BOI» (2001), la confrontation de l’image à l’espace en réduction souligne le décalage infime – mais néanmoins présent -, entre le réel, l’objet et ses modes représentations.

    Dans ses travaux in-situ, Pierre Besson opère ce genre d’analogie entre image du réel, transposition en maquette et restitution à l’échelle 1. Ce processus complexe repose sur un décalage visuel induit par l’effet de miroir. Les dimensions des photographies de la série « Radius » (233 X 175 cm) projettent physiquement le public dans l’espace photographique. Quant aux caissons lumineux des « Microloft », leur surface-miroir reflète autant qu’elle dilue l’image. Dès lors le public se trouve à la fois « en face » de l’écran miroir, « derrière l’écran » d’ordinateur et « à l’intérieur » d’un environnement virtuel ce qui comme le disait Barthes ne signifie pas un changement de point de vue mais un changement dans le visible même.

    La projection d’une image sur des objets en trois dimensions permet de prendre le contrepoint de la conception classique qui définit le passage de l’optique photographique soumise à la perspective albertinienne à une effigie bidimensionnelle inscrite sur le cliché. En inversant ainsi le processus, la surface de l’objet devenue photosensible se fait à la fois réceptacle, révélatrice et lieu de projection d’une image réelle. Par conséquent, Pierre Besson nous convie à penser la force du négatif de l’image. Comme l’affirme Georges Didi-Huberman, il y a un « travail du négatif dans l’image, une efficacité sombre, qui pour ainsi dire creuse le visible (l’ordonnance des aspects représentés) et meurtrit le lisible (l’ordonnance des dispositifs de signification) ».

    Dans les « Microlofts », le lisible s’évanouit sous le principe de projection photographique qui désincarne l’image. De leur lumière blafarde, les caissons sondent l’épaisseur de la réalité, au-delà du visible. L’image devient impalpable, presque évanescente, tel un mirage qui flotterait à la surface de l’objet. Or dans un rêve, l’espace ne préexiste pas. Il se modèle au fur et à mesure des déplacements, comme dicté par un logiciel génial qui le configurerait selon nos moindres désirs.

    Entre les mains de Pierre Besson, l’ordinateur, moyen de découverte et d’intellection, se métamorphose en une lanterne magique qui renouvelle notre perception de la réalité concrète du paysage. Pour ses mises en scène élaborées dignes d’un Ken Adam (James Bond) ou d’un Kubrick (« 2001 Odyssée de l’espace »), l’artiste utilise la maquette comme lieu de projection. Cet espace miniature devient le théâtre d’une fiction narrative à l’image de celles inventées par James Casebere ou encore Saskia Olde Wolbers. C’est à partir de tels espaces fictionnels indexés sur le réel que notre imagination, par un changement d’échelle, recrée comme au cinéma toutes sortes d’aventures.

    Pierre Besson a ainsi entrepris d’explorer le potentiel narratif de la simple image photographique et de se positionner davantage comme metteur en scène dans son rapport à la production d’images. Par conséquent, l’artiste appréhende le décor dans sa dimension narrative et se plie aux contraintes (délivrer le maximum d’informations dans un espace restreint) d’un scénario improbable. La théâtralité dans la photographie ne prend pas ici la peine de détourner le public de ses propres fictions. Au contraire, elle l’invite à participer à un engagement imaginatif à partir de son propre référentiel.

    Les architectures imaginées par Pierre Besson condensent ainsi l’espace du rêve, notre monde interne et le monde extérieur incarné par la réalité de l’objet. « Etre ici » et ailleurs à la fois, revient à partager ce don d’ubiquité cher aux primitifs italiens. Et en même temps, l’image incarne toujours cette « une fenêtre ouverte sur le monde » telle qu’Alberti définissait le tableau dans son Traité de la peinture (1425). Par conséquent, les photographies de Pierre Besson imbriquent habilement perspective albertinienne dans la pure tradition classicisante, construction mentale et structure du récit.

     

    Alexandra Fau

     

     

    [1] « Qui est là ? », 2001, Editions Jean-Michel Place.

    Texte paru dans catalogue Pierre Besson INNER, Monografik éditions,  exposition Inner, Micro Onde,Galerie de l ‘Onde , Velisy, 2007

    Alexandra Fau

    Centre portatif et générateur d 'images

    En fin de journée, dans certaines salles de bureaux sans cloisons où l’essentiel du monde est parti, seul restent parfois des personnes qui se mettent à jour et écrivent, silencieusement et concentrés, face à leur écran. Ce qui paraît alors frappant, dans de telles situations, ce n’est pas le ralenti chorégraphique de ces personnes dû à cette atmosphère de début de soirée, ni même la lumière phosphorescente de ces ordinateurs, ni encore le silence, mais inversement le son d’une telle ambiance. Le bruit des touches des claviers, la note électromagnétique et continue des disques durs, ou encore les voix souvent feutrées des personnes présentes habitent, à chaque fois, l’espace de manière inattendue. Un bruit retenu, délicat, mais aussi sec, tendu, électrique et énervé en creux, un bruit très condensé, ouaté, dilaté, comme une métaphore cérébrale, une invitation à la concentration. Avec le temps, il est possible de voir dans de tels lieux, et d’entendre face à ces ordinateurs solitaires comme autant de machines célibataires, une figure sonore d’une méditation digitale, du monde contemporain à l’ère numérique.

    Il y a, dans la série Microloft que Pierre Besson produit depuis 2002, une poétique chromatique, illusionniste et méditative, en un mot plastique, qui introduit évidemment au monde informatique. Pourtant, c’est bel et bien de sons dont il s’agit d’abord. Car Pierre Besson, fin connaisseur de la musique minimale et répétitive américaine, se réfère, pour évoquer la période de production des pièces qui composent la présente exposition, à l’écoute de l’album expérimental et visionnaire de Brian Eno January 07003 : Bell Studies For The Clock of The Long Now. Œuvre qui consiste à créer une horloge qui durera dix mille ans, afin, comme le précise le musicien d’avant-garde post-rock, de mieux « contempler le futur distant de l’humanité ». Cette musique ouvre l’espace et le temps avec des sons de cloches, contemplatifs et distendus, qui font l’effet d’une hypnose sonore qui fore aussi bien l’espace que le futur : un temps suspendu initié par les nouvelles technologies y trouve son expression. Telle liberté apparaît également comme centrale dans l’œuvre de Pierre Besson.

    À la fin de l’ouvrage Inner, paru l’année dernière aux éditions Monografik, une chronologie des œuvres de l’artiste est présentée, graphiquement, sur deux double pages. Depuis le début de la décennie 1980, de la sculpture à la photographie contemporaine mais aussi ancienne (il a travaillé à partir des plaques de verre de photographes anonymes du XIXième siècle), de l’art à l’architecture, des maquettes à la technique de l’offset ou à l’emploi de la matière caoutchouc, du volume à l’objet informatique, cette œuvre est extraordinairement polymorphe, différenciée, changeante. En même temps, cette double double page de Innermontre comment fonctionne, entre les différentes époques et les différentes techniques de ses œuvres, une espèce de fondu enchaîné qui opère avec logique inventive et cohérence sémantique. Où est l’œuvre de Pierre Besson ? Tant du point de vue perceptuel que des registres artistiques, cette aventure, comme on l’a dit, décline les formes de la liberté en art.

    Sculptures en éclats potentiels
    Les sculptures de Pierre Besson ont souvent été inscrites dans une certaine filiation de la sculpture anglaise de la décennie 1980. Novateur, ce mouvement est composé d’artistes très variés qui, de Richard Long à Anish Kapoor, de Gilbert and George à Hamish Fulton et Andy Goldsworthy, contrent le formalisme pour mettre en avant la radicalité sociale du geste du sculpteur, et pour appréhender, à travers installations, concepts et photographies, le médium sculptural comme une question posée à la nature et à l’écologie, à la communauté, aux corps… Or, dans les premières sculptures en acier des années 1984, qui étaient accompagnées de la projection de leurs ombres sur le mur que Pierre Besson appelait “ ses grands patrons ”, les signes avant-coureurs de la photographie se trouvent déjà. À travers l’évocation linguistique du Grand verre de Marcel Duchamp, et à ses notions d’ombres portées et d’empreintes qui préfigurent l’indicialité photographique et au-delà le modernisme de cet art. Mais aussi, à travers le passage de la troisième à la deuxième dimension qui, constamment, animera le travail de l’artiste. La série des Microloft nous parle-t-elle d’autre chose ? du monde virtuel et de ses dimensions multiples et aléatoires dans lesquelles le spectateur entre, par une photographie et ses simulations, par une référence à la perspective albertienne et à la couleur en peinture en général, et par son vol en éclats dans l’histoire des images et leur traitement au logiciel Photoshop ? En effet, dans ces sculptures des années 1980 où l’histoire des signes est d’emblée interrogée, un certain rapport à la construction et à la déconstruction émerge aussitôt. Elles étaient déjà, ces sculptures géométriques et brutes, des habitacles, des cabines, des “ caissons ” et, en même temps, à l’instar de l’intérêt de Pierre Besson pour l’esthétique de l’auteur de Crash James Graham Ballard, ces volumes volaient potentiellement en éclats, comme un signe à venir de la dématérialisation  dans le chaos.

    Je ne suis pas photographe
    Si l’on part de la sculpture pour aller vers la photographie, de l’ombre portée vers la lumière, et de l’empreinte vers la dématérialisation potentielle, force est de constater que les photographies de Pierre Besson se feront, sinon sans l’image, du moins pas avec elle directement, et, précisément pour ces raisons, c’est de l’essence même de la photographie dont cette œuvre nous parle. Ainsi, lors de deux expositions qui ont compté pour l’artiste, celles de l’Hôtel Huger et du Musée de la Roche-sur-Yon en 1995, une exploration plastique dans le changement, pour ainsi dire, lui est offert. Puisque, outre l’expérimentation de l’espace par la photographie, ces événements auront présenté les emplois — qui demeurent parmi les premiers — que l’artiste fera de l’impression offset sur aluminium et sur support caoutchouc. Pour cela, Pierre Besson a alors découvert des photographes anonymes du XIXième siècle, dont le Musée de la Roche-sur-Yon avait une collection de plaques de verre, et, ces images en devenir, ces mémoires de mémoires, il les a photographiées, scannées, puis travaillées sur Photoshop. Passages des images donc, où, finalement, l’image compte sans doute moins que la relation qui, dans l’histoire du regard et des techniques, tient les images entre elles. C’est peut-être ainsi qu’il faut entendre les expressions hétérodoxes qu’il a souvent répétées comme : « L’image n’est pas une copie mais une projection » (Parpaing, n°33), ou encore : « Je ne suis pas photographe ». Cela ne concourt pas forcément à la belle idée de Jean-Yves Jouannais développée, il y a quelques années dans son essai Artistes sans œuvres, mais, en revanche, cela défend la photographie d’être une image par principe. Pragmatiquement, elle est d’abord et peut-être avant tout photographique, c’est-à-dire procédure, concept et ontologie même du photographique mais aussi de l’histoire des images, des autres images. Existant à l’état de seule idée d’elle-même, la “ prise de l’image ” dans cette poïétique de la photographie, finalement, est aussi annexe “ qu’immatériellement photographique ”. De fait, cette autre approche de la photographie la fait plus appréhender comme un prélèvement et un déplacement que comme un enregistrement, plus comme un ready-made que comme un artifice. Aussi, lorsqu’en 1995 il réalise à l’impression offset sur aluminium le triptyque S.T. (rue du Port de l’Ancre), c’est cette fois les Rayographies de Man Ray — exposition d’objets sur papier sensible et photographies sans actes photographiques — qui semblent venir à nous. Ce que Pierre Besson dit autrement à propos de ses volumes photographiés : « Les éléments considérés, tables, boîtes, intérieurs d’ordinateurs, sont autant d’invitations à la projection. Ce sont des réceptacles potentiels d’images[1]. »

    Maquette, échelle, volume
    La maquette, en tant que notion et en tant qu’objet, a toujours été présente dans le travail de Pierre Besson. Entre art, photographie et architecture, dont la relation reste l’une des chevilles ouvrières de cette œuvre, la maquette fait figure de trait d’union. Si, en amont, il y a évidemment un goût pour l’espace que l’on retrouve dès la construction des sculptures de la décennie 1980, la maquette, bien au-delà de ce lien thématique et de la poïétique qu’il induit, propose une interrogation intense sur la représentation et la perception. Dans la décennie 1990, Pierre Besson photographiait déjà des maquettes dont il éditait l’image en offset sur aluminium. Ainsi, lors de son exposition in situ à l’Hôtel Huger en 1994, en guise de miroirs et de boiseries, c’est une image de ce même hôtel du XVIIIième siècle maquetté qui était présentée dans ses salles mêmes… Est-ce une fascination pour l’échelle réduite ? pour la perte des repères ? le trouble ? pour des images d’architectures réelles, figurées, miniatures, fictives ou utopiques qui, de James Casabere à Langlands & Bell et Thomas Demand, constituent un champ important de la création contemporaine ? dans Looking out, œuvre produite par le Transpalette de Bourges en 2008, cette interrogation trouve son dernier aboutissement. Pièce centrale de l’exposition, Looking out propose la maquette d’un espace de contrôle dans un paysage industriel, maquette dont l’échelle est intermédiaire (ni trop grande, ni pas assez), à l’architecture “ sans qualité ” (pour paraphraser le livre de Robert Musil dans la mesure où elle désigne, aussi, une esthétique et une histoire du transitoire et des passages). Et le spectateur découvre alors sur ses vitres, précisément, le paysage industriel environnant qui vient s’y refléter. Dans ses miroitements (perspectives industrielles, néons, lumières de laboratoires, strates de reflets, feuilletage de transparences superposées jusqu’à l’indiscernable, végétation sauvage), où les noms des entreprises ont été gommés, faisant ainsi de ces images des paysages génériques, le jeu chromatique y reste intense et le mystère actif. Les images disposées sur Looking out proposent enfin, du lieu où elles ont été prises, une rotation panoramique à 360°, un regard total. Et une petite histoire du paysage, mais aussi de la fiction, du récit, de l’utopie… L’œuvre de Pierre Besson invite à une exploration de l’imaginaire… Pour Christophe Le Gac, il s’agit d’insister sur le caractère cinématographique de cette œuvre et de créer, pour cela, le terme significatif de « scénarimages », et, pour Patricia Solini, toujours dans le catalogue de l’exposition Actifs/Réactifs qui s’est tenue au Lieu Unique de Nantes en 2003, il s’agit de voir les séries Radius et Microloft « comme d’ultimes atlantides en perdition »… Au-delà de la métaphore, mais précisément comme elle le montre, ces œuvres décrochent de la réalité en ouvrant sur l’imaginaire.

    Poétique de l’interface
    La série Microloft propose des univers indéfinissables, aquatiques ou d’anticipation, des architectures visionnaires qui pourraient être perçues depuis un sous-marin, une salle d’attente d’aéroport ou une navette spatiale. Mais cela pourrait être aussi un parking phosphorescent, la piscine d’un film noir, une vue urbaine, nocturne, périphérique… Il y a certes de la désolation dans ces cadres, mais une lumière — aurore qui point ou horizon blanchâtre — l’excède en tout pour embarquer le spectateur dans une aventure chromatique hors norme qui, par ailleurs, suggère un effet-cinéma stupéfiant. Plastique, l’imaginaire fonctionne… Certes en suspens, en attente, dans un potentiel, mais tout de même, intensément présente, il y a une vie mentale dans ses images arrêtées, une vie telle que les images la rendent possible : déceptive et en relief. Car tout cela n’est qu’illusion. Et le procédé même de la construction des images de la série Microloft nous le rappelle. Pierre Besson part d’unités centrales d’ordinateurs qu’il collecte (la sculpture encore ?). Procédant ensuite à une prise de vue, il installe au sein de ces carcasses désossées un assemblage de matériaux, comme des néons ou du plexiglas, et produit parfois une inondation dans cette mise en scène. Puis, un dernier traitement a lieu, à l’ordinateur cette fois, pour que soient insérées dans cette image et via le logiciel Photoshop des photographies, souvent de paysage industriel. L’ensemble étant enfin augmenté d’un caisson lumineux pour constituer, finalement, cette série d’images stellaires à l’instar de la série Radius, où les images cette fois sont faites avec des intérieurs d’écrans, pour produire des monochromes directement sortis du sas de décompression du vaisseau Discovery de2001 Odyséee de l’espace.

    Ces paysages développent donc une poétique de l’interface où l’on trouve aussi bien les échos des travaux de Marc Augé dans Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, que d’Antoni Muntadas développant ses notions de paysages médiatiques ou encore, bien sûr, d’une figure de la transparence poïétique et esthétique de l’informatique. De fait, assez finement la question de l’intériorité se pose, question qui était le titre même du précédent livre de Pierre Besson (Inner). Intériorité qui consiste à dépasser le rapport intérieur/extérieur, comme le note Bernard Stiegler dans une introduction à l’exposition Qui est là ?, intériorité qui anime aussi la notion de maquette : « Je suis à la fois dedans et dehors, écrit Pierre Giquel, et l’habitant possible d’un lieu que je n’atteins jamais. À l’image de cet objet toujours manquant que constitue la maquette[2] (…) ». Intériorité qui, avec la série des Microloft — où l’image est enserrée dans des carcasses d’ordinateurs pour ouvrir sur un monde-image —, trouve tout son sel. Retour. L’intériorité ne doit-elle pas être pensée comme le négatif de la projection ? Il y a enfin, dans ce travail, une réflexion sur l’illusion plastique. Que l’on pourrait, du reste, rapprocher de la question de l’illusion picturale si, évidemment, le sujet ne s’était pas effondré de lui-même. Mais, tout de même, certaines images ne sont-elles pas des relectures de l’anamorphose à l’ère numérique ? Et comment ne pas penser à Jean Baudrillard et à toutes les formes de substitutions du réel qui s’organisent dans l’inflation, virtuelle et en abyme, de l’image ?

    Présence et disparition donc qui seraient au cœur du travail de Pierre Besson où œuvre la simulation des images. Quant à la matière en caoutchouc qui sert de support aux dernières images de l’artiste, elle les fait apparaître comme des dessins, très doux avec leur dominante grise, qui déverrouillent un autre champ. Impressions U.V., jet d’encre, caoutchouc, ces matériaux et leur emploi n’évoquent-ils pas, étrangement, l’effet des gommes ? une gomme qui efface (symbolique, ancienne mais toujours très vive, du Nouveau roman où la gomme est l’élément de la disparition ou de la déconstruction de l’écriture) et qui, soudainement, fait que l’histoire de l’image devient celle de l’absence ?

    Quelle musique ?
    Il aurait fallu peut-être plus insister sur l’importance des titres dans ce travail, car même s’il semble étranger à toute entreprise plastique entre l’image et le mot, les titres comptent. Microloft ou Inner sont particulièrement inventifs et ce dernier titre, à nouveau, nous renvoie à la musique. Pierre Besson, mélomane et grand amateur de Morton Feldman et de Brian Eno, cite l’écoute d’Inner cities, musique contemplative et tonale d’Alvin Curran, pièces au piano interprétées par Daan Vandewalle, qui reste déterminante pour appréhender le livre éponyme. Or, étonnamment, les premiers écrits sur ce travail ont recours aux sonorités, fût-ce par défaut, pour le penser :  « Nul bruit, nul choc, la sculpture de Pierre Besson s’enveloppe de silence, écrit Michel Enrici dans Voir à Angers. Paradoxe encore au sein d’une pratique qui évoque le bruit, les chocs, la violence maîtrisée, paradoxe d’un outillage dont s’entoure l’artiste et qui, loin d’être celui d’un sculpteur, ne garde que le pur schéma de la peinture : pinceau, colle et pigments purs[3] ». Quand, dans le même catalogue, Hubert Tonka prolonge cette même évocation : « Ces objets atteignent leur plénitude comme condensateurs de sons éteints[4] »… Il est possible de s’interroger sur ses métaphores sonores du silence… Simple effet de rhétorique sur la sculpture ? mais l’on connaît depuis La Métaphore vive de Paul Ricœur le pouvoir qu’a celle-là pour faire voir et faire “ pensée du voir ”. Et puis, avec Lessing, la sculpture, paradoxalement, est aussi à penser depuis son Autre, sa différence et sa frontière. Mais aussi, cette pensée de l’image par le sonore ne procède-t-il pas du centre du visible (du visible comme centre) où siègent le silence et sa chambre d’échos latents ? Les images de Microloft ou encore Looking out apparaîtraient alors comme des matrices iconiques, scopiques, véritables centres de générateurs d’images plastiques, filmiques, sonores, qui absorbent et dissolvent les influences de l’auteur (de Ballard à Lynch et à Soft Machine) pour produire alors en miniature (le sens de la maquette s’éclaire) une espèce de batterie d’autonomie pour créations visuelles des temps présents, un théâtre portatif et indépendant de la visualité.

    Alexandre Castant

    Alexandre Castant est professeur à l’École nationale supérieure d’art de Bourges où il enseigne l’esthétique et l’histoire des arts contemporains. Essayiste, il a notamment publié Esthétique de l’image, fictions d’André Pieyre de Mandiargues, Publications de la Sorbonne, « Esthétique », Paris, 2001 ; Noire et blanche de Man Ray, Scala, « Œuvre choisie », Paris, 2003 ; La Photographie dans l’œil des passages, L’Harmattan, « L’Art en bref », Paris, 2004 ; Planètes sonores, radiophonie, arts, cinéma, Monografik, « Écrits », Blou, 2007.

    [1]. Pierre Besson in Qui est là ?, catalogue, éditions Jean-Michel Place, coll. « arts plastiques », Paris, 2001, p. 44.
    [2]. Pierre Giquel, « Les Entrées multiples » in Pierre Besson, Association 3A, Angers, n. d., n. p.
    [3]. Michel Enrici in Voir à Angers, ERBA d’Angers, 1985, p. 4.
    [4]. Hubert Tonka, ibid., p. 7.

    Texte paru dans catalogue Pierre Besson INSIGHT, exposition Musée des Beaux arts d ‘Angers, 2008/2009

    Alexandre Castant

    La fiction amorce...

     

    « C’est en quelque sorte l’avenir du passé qui est en question. »

    Paul Valéry

    Episode 1 : La fiction amorce I

    Il était une fois un drone en visite d’une exposition d’art contemporain dans une cité millénaire, carte postale habitée au doux nom de Château-Gontier Bazouges aux confins d’une grande étendue bocagère où coulent les eaux de la Mayenne.

    Rendez-vous compte, un drone. Depuis quand les hommes ont-ils déserté physiquement les lieux d’exposition des productions artistiques ? C’est une vaste question. Il a été établi, depuis le début du vingt-et-unième siècle, l’instauration d’un partage de l’atmosphère avec les drones, devenus les compagnons de route des humains. Pilotées à distance, ces petites machines sont devenues l’extension de nos yeux. Baladeuses, ces mécaniques s’infiltrent partout. Une d’entres-elles avait d’ailleurs défrayé la chronique en août 2014. Du côté de Vancouver II, Conner Galway prenait tranquillement un petit verre de rosé sur la terrasse de son I.G.H. III, quand il entendit un bruit sourd ressemblant à un gros bourdon. Un drone lui fit face et essaya de se faufiler afin de filmer l’intérieur de son appartement. Dérive prévisible et signe des temps. Depuis, les aérodynes pullulent. Tout le monde veut épier tout le monde et ces engins se surveillent entre eux. Pour l’heure, reprenons le cours des choses. Retrouvé en train de survoler la Mayenne, notre drone apprenti critique d’art, tourne sur sa droite, passe devant ce qui ressemble à un hôpital du dix-neuvième siècle, continue sur une légère courbe, à droite, et s’arrête devant une façade en pierres d’une chapelle. Aux coordonnées 47° 49’ 41” N° 41’ 53” 0, l’appareil volant nous montre quatre contreforts, en leur centre, une porte, surmontée d’un arc en berceau, force le regard à s’élever vers un mini clocher. Relié au net, l’écran de la machine nous indique son nom, la chapelle du « Genêteil » et son origine : entre 1120 et 1130, les bénédictins de Saint-Nicolas d’Angers ont construit cette chapelle sur l’emplacement d’un modeste sanctuaire érigé dans un champ de genêts. Depuis 1997, ce lieu n’est plus dévolu au culte mais à l’art contemporain. La porte est entrouverte ; une fois entré, le bourdonnement du drone rebondit sur les grandes parois de la chapelle. L’engin opère une rotation vers le plafond de la nef ; alors, se découvre une voute composée de fines lamelles en bois. Elle invoque l’arche de Noé, comme renversée, expression typique des premières églises chrétiennes. Tête baissée, la machine file vers un dispositif délimité au sol, par une surface grise légèrement détachée par l’épaisseur d’un panneau d’aggloméré qui contraste fortement avec les tomettes orange clair. Dans l’espace, un ensemble d’objets organise la visite de l’exposition. Au fond, à gauche, la surface grise se retourne sur elle-même pour former un volume dont un décrochement indique son aspect praticable. La machine avance vers cette fente mais se détourne, aspirée par la vue du grand volume noir, posé sur la droite. Elle est attirée par sa forme, proche d’une maison à toiture à deux pentes. A hauteur d’œil, placé dans une niche, un étrange objet diffuse de la lumière multicolore. Cette masse se place là, ici et maintenant, telle une boîte noire d’avion. Qu’enregistre-t-elle ?

    Rapidement le drone file et rentre dans l’espace gris du fond. Par une vision circulaire le regard se porte sur plusieurs gravures, photographies et caissons lumineux accrochés sur les murs intérieurs. Mais un caisson attire plus particulièrement l’œil. Ses paramètres s’affichent : « Microloft 20, 2012, caisson lumineux, caoutchouc, néons fluorescents avec variateur, 160 × 88 × 10 cm ». Le point de vue de la perspective déplace le regard vers la droite, devant un ascenseur, portes closes. L’ambiance est au gris, gris des parois à l’intérieur du caisson, gris du caoutchouc qui recouvre son épaisseur, gris car ici, personne n’attend l’ascenseur ! D’ailleurs, dans toutes les perspectives montrées dans l’exposition, jamais un seul individu, seuls des lieux vacants composent les paysages fermés sur eux-mêmes, littéralement « encaissonnés ».

    Pourquoi aucune figure humaine n’habite-t-elle toutes ces représentations ? 

    Maintenant l’UAV (Unmanned Aerial Vehicle) doit rentrer à la base. Dans un long survol l’appareil arrive à proximité de son QG. Lentement tel un zoom avant à la Kubrick, l’engin approche de sa zone de télécommande. Arrêt sur image ! Comme dans Barry Lindon, lorsque Barry, vaincu et appauvri, une jambe en moins, s’avance vers un fiacre, monte et s’apprête à rentrer dedans. Arrêt sur image ! Pendant six secondes le plan est en suspension. « Le monde dans les films de Kubrick semble perçu par un œil électronique, celui d’un système de surveillance très performant, à la fois totalement omniscient et totalement froid. Cette froideur, si caractéristique de son cinéma, n’exclut pas l’émotion. IV » Face à nous, l’homme aux manettes, procède de la même manière avec sa machine de surveillance. Cet humain qui joue au démiurge devant son écran LaCie et son MAC n’est autre que notre artiste Pierre Besson. Tel un jongleur, il s’amuse avec l’idée de réalité et de fiction. En premier lieu, cet assortiment, « d’objets noirs et de choses carrées V » disposés sur une sorte de dièdre, renseigne sur ses intentions d’œuvre d’art totale. Il ne s’agit pas tant de celles pensées par le contestable Richard Wagner – trop réductrices à l’Opéra -, mais davantage celles des premières avant-gardes modernes dont les objectifs tenaient dans l’abolition des frontières entre les disciplines au service d’un homme nouveau engendré par un nouveau monde VI et, certainement dans la mise en place d’un programme global appuyé sur une démarche systémique VII dont le principe en art repose d’abord sur l’élaboration d’un projet avant d’aller chercher toute discipline artistique utile à sa réalisation. L’autonomie de la discipline n’est plus de mise. Le cœur du sujet devient le projet artistique. De manière flagrante dans la chapelle, cette problématique s’insinue dans la présentation au public des différentes pièces produites ces dernières années par l’artiste. Cette description propose l’interrogation suivante : dans un monde sans figure humaine, serait-il possible d’envisager un avenir de l’homme au-delà de sa réalité ?

    Episode 2 : L’homme est mort !

    Et c’est nous qui l’avons tué ! VIII

    Mais ne nous trompons pas.

    Il s’agit de la mort organique de l’homme, pas complètement celle de sa « nature humaine », et certainement pas celle de son esprit. En premier lieu, il est question de la disparition de son corps physique. A l’instar d’un Günther Anders IX, notre artiste travaille la question des relations entre la condition humaine et la technique, entre ses moyens de production et ses espaces de réception (publics/privés). Comment l’homme programme-t-il son obsolescence depuis le moment où il a tenu un outil dans sa main ?. Comment écrit-il son histoire – son avenir – maintenant que des machines créent d’autres machines sans lui ?

    Et si tout ce qui peut être fait sera, serait, fait ?

    Un monde après la vie … biologique

    Dans l’univers « bessonnien », la fin du monde n’est pas un désenchantement tragique mais un fait déjà accompli. Nous sommes dans une projection de l’après vie dont la série « Microloft » présente un ensemble de possibles. Composer de vingt caissons lumineux, la série forme un tout dans une même matérialité, solide et flottante. Chaque caisson porte un Duratrans X constitué d’un montage d’images issues de prises de vue d’unités centrales de micro-ordinateurs désossées et de paysages urbains génériques. Entre Microloft 1 et Microloft 20, les ouvertures vers l’extérieur s’amenuisent. Au fur et à mesure, l’horizon dans chaque Microloft disparaît. L’espace proposé au regard se dissout dans un mélange homogène tel une ouate métallique. L’architecture devient liquide ou refermée sur elle-même. 

    Entre immersion et une certaine forme de contemplation, la série forme des points de contacts, des liaisons avec d’autres mondes. Face à ces interfaces, nous sommes fascinés par ces mondes cachés derrière l’écran dans lesquels il serait facile de tomber. Dans un réflexe humain, ces jonctions démontrent à quel point notre environnement « naturel » reste agréable à parcourir et à vivre. 

    Parcourir régulièrement la série « Radius » embarque notre esprit, et notre corps, vers un ailleurs, vers un dehors. Les Radius semblent en suspension, entre l’abîme XI des fonds des images, sans limites envisageables, et les cavités assignées à les encadrer, à les circonscrire tel un sas dans lequel chacun peut s’enfoncer. 

    Alors attention !

    Dans le film Dune de David Lynch XII, librement adapté du cycle de Dune de l’écrivain de SF Frank Herbert, il y a une scène où le héros Paul – l’héritier de la maison des Atréides – doit passer l’épreuve de la boîte. Elle détermine votre humanité ou vous tue. Le procédé visuel utilisé par le cinéaste montre l’acteur Kyle MacLachlan mettre sa main droite dans une boîte. Il y voit celle-ci se consumer dans un voile de flammes rouges jaunes. La douleur visuelle s’accentue par une induction nerveuse. Seul un humain est capable de résister. Belle parabole ! Cette situation fictionnelle très lynchéenne mêle image spectaculaire et intensité psychologique. Dans ses Radius, Besson arrive à la même finalité dans le sens où il oblige le spectateur à tester l’image visuellement et psychologiquement. A contrario, il n’utilise pas le spectaculaire par l’effet de l’image-mouvement. Il s’aide de l’échelle des impressions numériques XIII, emploie une couleur unique pour l’enveloppe supérieure de l’espace proposé – le sas – et incruste un paysage rugueux en arrière-plan. Le regardeur se trouve hypnotisé. Dernier ressort, le plus mental en définitif, le personnage est hors-champ. Sa perte est attendue. Regarder, c’est se faire dévorer. Mais comme le dit Brutus dans le Jules César de Shakespeare (Scène V) :

    « Elle est venue, j’en suis certain, Volumnius. 

    Tu vois ce monde, Volumnius, et comment tout s’y passe. Nos ennemis nous ont battu, jusqu’au bord de l’abîme. Il est plus noble de nous y lancer nous-mêmes, que d’hésiter jusqu’à ce qu’ils nous y poussent. »

    Alors suivons Brutus, partons à l’abordage de notre fin.

    Avant de continuer l’aventure de notre avenir binaire, arrêtons-nous sur le titre donné à cette série, « Radius ». De la bouche même de l’artiste, cette dénomination provient tout simplement du nom de la marque de son clone Macintosh (écran + unité centrale, 1995) ; déjà tout un programme. Dans le monde informatique d’aujourd’hui, RADIUS XIV est un protocole client-serveur d’accès au réseau composé des fameux identifiant et mot de passe. Plus drôle, Radius est un personnage de la division Alpha des Comics Marvel Canadiens. Le Radius est aussi un os de l’avant-bras d’un homme. Cette déclinaison de toutes les définitions induites par le titre d’une série indique l’importance de cet exercice chez Besson. Cet élément devenu incontournable dans la lecture de toute œuvre depuis Marcel Duchamp, prend chez lui, une ampleur supplémentaire dans sa dimension de storytelling. Radius, nous venons d’en voir la polysémie ; Microloft, Inner, Insight, Looking Out, Split, Terminal, toutes ces dénominations s’inspirent grandement de l’univers des musiques électroniques, électroacoustiques et des nouvelles musiques (minimalistes…). Toutes ces appellations évoquent trois aspects influents dans le travail de l’artiste :

    La dématérialisation générale (de nous, de tout),

    L’architecture et ses corollaires (maquette, dedans/dehors, perspective, peinture…),

    L’association réelle-fiction (art, littérature, science-fiction, l’image lieu…).

    La maquette entre image, sculpture et architecture

    Maintenant liquéfié, comme aimanté devant ces œuvres-fenêtres, telle la série de maquettes 5, rue des Ursulines (1995), Maquette (1995), Sans titre (Les Allumettes) (1997), Sans titre (Galerie Anton Weller, Paris) (1999), Looking Out (2008), ouvertes ou closes à de nouvelles perspectives, le spectateur donne l’impression d’être un mélange des trois personnages – l’écrivain, le professeur, le passeur – du célèbre film d’Andreï Tarkovski Stalker (1979). Dans une séquence des plus significatives, tous trois font face à l’embrasure d’une pièce dite « la chambre », dont la fonction serait de réaliser les désirs de chacun. Tout le long du film, ces trois individus vont forcer le passage de notre monde pour dériver dans un autre désigné « la zone ». Cette dernière incarne, dans la matière cinématographique, un espace mental au service de nos subjectivités. Tout se meut au diapason des sensations cérébrales et annule toute présence techno-scientiste. Tarkovski et sa foi mystique n’ont rien à voir avec le travail de Pierre Besson. Mais si nous oublions cette dimension caduque et que nous nous concentrons sur cette idée de paysage, entre matérialité physique d’un monde circonscrit – le nôtre -, et la construction d’une durée spatialisée inédite – un novum XV  où la pensée est privilégiée, alors les choses s’éclairent. 

    Chez Besson, nous sommes dans l’idée d’un parcours, d’un trajet, d’une progression. Au départ le duo corps/regard semble consubstantiel. A l’arrivée, l’absorption du corps par le regard devient effective. Le regard se transforme en vecteur de notre esprit. Les objets-sculptures attirent irrésistiblement le visiteur. 

    Le statut des maquettes et leurs différentes déclinaisons accentuent cette volonté de renversement/basculement. La série des Vacuum exprime cette disposition. D’abord maquette d’architecte d’une potentielle maison individuelle pour client fortuné, ensuite posée sur un socle, elle devient sculpture. Mais le socle se trouve fréquemment raboté. En lévitation, les Vacuum deviennent des images-sculptures bientôt transformées en images analogiques, similaires des perspectives d’architectes. Ce va-et-vient continuel se renforce lorsque l’artiste expose ses maquettes de préparation d’exposition et des vues de celles-ci portées à la condition d’œuvre d’art. Tout vole en éclats. Le réel, son image – sa réalité, son modèle se mélangent et réclament un nouveau paradigme XVI. 

    L’espace diégétique chez Pierre Besson

    Cette expérience se retrouve dans les expositions de Pierre. Le registre formel des œuvres diffère des intentions intrinsèques. Arpentez régulièrement ces hétérotopies et tout se dessine. Cette manière d’imaginer tout un itinéraire à emprunter, ponctué d’objets et d’images balises, traduit la volonté de prendre conscience de l’obsolescence programmée de l’homme biologique. Ce pressentiment, cette hallucination, ou plus prosaïquement cette obsession tire son origine dans la fréquentation assidue de la science-fiction littéraire. « Quelle littérature sait interroger la réalité présente ? Se confronter au pouvoir moderne, à son anonymat, à la multiplicité des réseaux ? En jouant avec les systèmes-mondes, en manipulant les hypothèses, la science-fiction constitue un de ces laboratoires où se lisent l’intime composition chimique du monde actuel… et les forces qui le feront entrer en explosion. XVII » Grand lecteur de Philip Kindred Dick et de James Graham Ballard, leurs visions sceptiques de nos réalités médiatiques, urbaines et humaines accompagnent souvent les pensées de l’artiste. Dans l’atelier, plusieurs morceaux des nouvelles musiques postmodernes (minimalistes, électroniques…) XVIII guident continuellement le travail devant l’écran et de fabrication des maquettes et autres objets de petites dimensions. Les autres travaux sont réalisés à l’extérieur chez des tiers spécialistes. Autre accointance avec la science-fiction et le devenir numérique de notre existence, la conduite, avec le peintre Philippe Hurteau et votre chroniqueur, d’un Atelier de Recherche et de Création à l’école des beaux-arts d’Angers (ESBA TALM) dénommé « Réelles Fictions ». Tout un programme !

    A l’instar des récits fictionnels de la SF, les différentes propositions formelles « bessonniènes » ouvrent de nombreux univers possibles. Ils laissent entrevoir des horizons grandioses aux paysages de nos imaginations. La complexité des rapports entre réel et fiction est à l’œuvre chez Besson. Ni complètement de la sculpture, pas entièrement de la photographie, pas si distant de la peinture, et encore moins de l’architecture, les œuvres « bessonniènes » en appellent au concept d’image-lieu. Est-il possible de parler d’espace diégétique XIX – chargé de fiction ?  L’atmosphère générale évoque le plateau de tournage d’un improbable film. A la vue des objets présentés et des images projetées, tout nous y ramène.

    Pierre Besson crée des espaces-temps ambigus dans lesquels la tension est palpable, entre mondes projetés, mondes vécus et mondes imaginés. Son œuvre s’inscrit dans l’écart entre le perçu (percept) et le ressenti (affect), entre l’expérience mentale et physique de l’environnement proposé. Souvent nous déambulons dans des expositions-récits.

    Il s’inscrit dans une famille d’artistes dont le sujet de prédilection tient dans l’interrogation des qualités tangibles des choses « naturelles » et/ou « artificielles ». Le numérique est-il tangible ? Ses propositions numériques résistent-elles au regard des spectateurs ? 

    En d’autres termes, comment est-il possible de travailler le tangible avec et dans le virtuel ? Comment la réalité des œuvres semble-t-elle être au-delà du réel même ?

    Episode 3 : La cinquième dimension binaire

    L’espace-temps, engendré par la découverte de la quatrième dimension, fut la modernité du début du vingtième siècle. Le numérique et le cyberspace marquèrent l’avènement de la post-modernité. A n’en pas douter, le post-humain dessinera la modernité/post-modernité du vingt-et-unième siècle et son corollaire : la cinquième dimension. Même si le fameux cinéaste danois Carl Theodor Dreyer, parlait déjà d’une cinquième dimension XX, il ne s’agit pas ici d’inventer un nouveau (ou plusieurs) dieu(x) mais simplement d’émettre une hypothèse sur notre devenir synthétique due à notre faillite volontaire ou notre désir d’y goûter. Sans vraiment le programmer, par intuition, Pierre Besson met en scène, dans ses expositions monographiques, cette idée de cinquième dimension. 

    Il suffit de se promener entre les objets, les images et les lieux inventés par l’artiste pour se sentir enveloppé par un climat particulier. Totalement artificielle, cette ambiance inscrit le visiteur dans un état de flottaison,  de « Mood and Atmosphere », dirait Bret Easton Ellis à propos du cinéma. Les matériaux utilisés dans la réalisation des pièces – métal, plastique, verre, caoutchouc, néon – renforcent et qualifient ce paysage aux teintes grises, vertes, bleues et noires. Les lumières froides dominent. L’absence de figures humaines dans les projections d’espaces construits (par et pour l’homme !?) côtoie différents éléments aux multiples échelles issus des entrailles de tous les équipements informatiques qui modèlent dorénavant notre environnement premier. Cet ensemble marque le passage de notre statut d’être humain, composé d’une intelligence enveloppée dans un corps organique, vers un statut de module énergétique connecté et programmé – presqu’uniquement – à regarder pour habiter un autre monde. Dans ses récits-expositions, Besson transforme le corps du visiteur en caméra steadycam. Le corps se soustrait pour laisser place au regard, à son esprit : cette fameuse cinquième dimension. Une équation se dessine :

    l’esprit / l’image-lieu = énergie / langage binaire

    Et la mort plane au-dessus de tout cela, comme une inconnue subliminale. Avec Pierre, la mort du sujet (post-moderne) et du collectif (moderne) s’articule dans un même mouvement et annonce la mort du corps physique, pas celle de l’homme. Lui se transfigure en esprit numérique. L’artiste nous brosse le portrait d’un monde post-humain. Il le dessine et le visualise avec des éléments informatiques (hardware) transformés et nouvellement agencés. Grâce à cette nouvelle configuration, un nouvel horizon se profile.

    Le mot de la fin à un artiste cher à Pierre Besson, Robert Smithson. Dans le court extrait ci-dessous, ce dernier démontre à merveille comment l’humanité numérique, à venir, renvoie au début de la civilisation. Comme si l’homme avait enfin réaliser les rêves les plus fous de nos ancêtres. Bonne lecture !

    « Il semble exister des parallèles entre la cybernation et le monde de la Pyramide. La logique qui se cache derrière les “machines pensantes” avec leurs “systèmes nerveux artificiels” relève d’une complexité rigide qui, sur le plan esthétique, ressemble aux structures tombales et funéraires de l’Egypte ancienne. Les hiéroglyphes du Livre des morts sont analogues aux symboles des circuits des blocs de mémoire des ordinateurs ou “canaux codés”. Peut-être pourrait-on appeler “momie électrique” un ordinateur – le médium est la momie. Tout contenu est retiré de la “mémoire” d’un automate et transformé en une “forme” ou “objet”. La momie, comme l’automate, a des mémoires vacantes qui évoquent des vides de signification. XXI » 

    Notes

    I) « Je pense maintenant qu’on ne peut pas entreprendre un texte sur l’art si l’on ne se laisse pas un peu aller. Il faut pouvoir se mettre au moins au commencement, dans un état qui est proche, sinon de celui du rêve, du moins de celui de l’association libre. »

    Catherine Millet – D’Art Press à Catherine M, Entretiens avec Richard Leydier, Coll. Témoins de l’art, éditions Gallimard, Paris, 2011. (P.175)

    II) Guerric Poncet, « Canada : un drone “voyeur” sévit à Vancouver », Le Point.fr, rubrique « Le web en ligne », publié le 21/08/2014.

    http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/guerric-poncet/canada-un-drone-voyeur-sevit-a-vancouver-21-08-2014-1855496_506.php

    III) L’acronyme I.G.H. signifie Immeuble de Grande Hauteur. Il renvoie au roman éponyme de James G. Ballard.

    IV) Jean-Marc Lalanne, “Un monolithe noir”, in « Kubrick – Le cerveau et le monde », Les Inrocks 2, #39, Paris, 2011.

    V) Titre de l’exposition monographique de Pierre Besson à la Chapelle du Genêteil, il est emprunté à Nino Ferrer, dans sa chanson « Madame Robert » (1967), dont voici un couplet : 

    Mon père est un homme de bien

    Il possède des magasins

    D’objets noirs et de choses carrées

    Il est sujet aux rhumes en été.

    VI) Cette idée moderne d’œuvre d’art totale est très bien formulée dans le premier ouvrage théorique du cinéaste russe Serge Eisenstein, Journal d’un cinéaste, Editions en langues étrangères, Moscou, 1958, traduction : Lucia Galinskaia et Jean Cathela.

    Cité dans le texte de Pierre Bongiovanni, Eisenstein et digital, in Art Press, H. S. #14, 1993 : « Un second siècle pour le cinéma ».

    VII) Lire Joël de Rosnay, Le Macroscope, Coll. Civilisation, Editions du Seuil, 1975.

    VIII) Evidemment ce titre est un détournement du célèbre paragraphe déclamé par le personnage au nom prédestiné « l’insensé » dans HYPERLINK « http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Gai_Savoir_(Nietzsche) »Le Gai Savoir, Livre troisième, 125 :

    « Où est allé Dieu ? s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué, –  vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon ? (…) Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? (…) Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! (…) Il n’y eut jamais action plus grandiose, et ceux qui pourront naître après nous appartiendront, à cause de cette action, à une histoire plus haute que ne fut jamais toute histoire. »

    Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, Traduction de «Die Fröhliche Wissenshaft (La Gaya Scienza)» (édition 1887), par Henri Albert (1869 – 1921), Édition électronique (ePub) v. : 1,0 : Les Échos du Maquis, 2011.

    IX) Günther Anders, L’obsolescence de l’homme. Tome 2. Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle

    Trad. de l’allemand par Christophe David, coll. « Ivrea », Fario, Paris,  2011.

    X) Le Duratrans est un film avec un dos translucide. Il est destiné à être mis devant une source lumineuse.

    XI) Dans la fiction biblique et catholique, l’abîme est le lieu des morts et le séjour des êtres maléfiques.

    XII) David lynch, Dune, 1984. Production : Twentieth Century Fox, Universal Pictures / de Laurentiis.

    XIII) Radius 001 &  002 : 2,32 x 2,23 m, Radius 004 : 2,08 x 2,20 m, Radius 007 : 2,33 x 1,75 m.

    XIV) RADIUS (Remote Authentication Dial-In User Service).

    XV) Dans la science-fiction, le novum est un terme qui définit tout élément dont la mission accentue un effet de décalage léger ou grossier et fragilise la perception de notre univers dit réel. Nous devons l’emploi de ce mot au professeur croate Darko Suvin (1930). Dans Metamorphoses of science-fiction on the poetics and history of a literary genre (Yale University Press, 1979), il détourne le concept employé par Ernst Bloch dans son célèbre ouvrage Le principe de l’espérance (Gallimard, 1976). Dans cet ouvrage, le novum fait partie d’une trilogie – Front, Novum, Ultimum – au service de « l’anticipation créatrice » contre les « platitudes de l’évolution créatrice ».

    XVI) Lire l’article de Marie-Ange Brayer, p. 11 : « Un objet “modèle” : la maquette d’architecture », dans Architectures expérimentales 1950-2000, Collection du FRAC Centre, coll. « Architecture », éditions HYX, Orléans, 2003.

    XVII) Valerio Evangelisti, « La science-fiction en prise avec le monde réel. », in Europe – Revue littéraire mensuelle,  #870 / Octobre 2001, « La science-fiction », 79e année, Paris.

    XVIII) « Les sphères des nouvelles musiques anciennes et postmodernes » est la phrase bandeau de l’excellent site neospheres.free.fr, consacré aux musiques électroniques et post-moderne.

    XIX) l’espace diégétique vient du mot « diégèse ». Etienne Souriau est le premier à utiliser ce terme emprunté au grec « diégésis » (qui désigne quelque chose de complémentaire). Avec cette notion, Souriau voulait qualifier l’univers dans lequel l’histoire d’un film advient. 

    XX) Lire p. 232 in Cinéma 2 : L’image-temps, Gilles Deleuze, collection « critique » éditions de Miniuit, Paris, 1985.

    XXI) Ce court passage est extrait du texte « L’artiste en visionnaire de site ; ou, un essai dentorphique » publié dans Art et science-fiction : La Ballard Connection, sous la direction de Valérie Mavridorakis, éditions du MAMCO, Genève, 2011, p. 203.

    Christophe Le Gac

    Texte paru dans monographie Pierre Besson, Le Gac Press, exposition D 'objets noirs et de choses carrées, Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, 2014

    Du dispositif des images et de leur exposition

     

    Si l’on considère que Pierre Besson fait partie de ces artistes producteurs d’une œuvre globale, la fameuse Gesamstkunstwerk qui intègre différentes disciplines, on ne peut aborder son travail sous l’angle d’un seul point de vue, d’une seule discipline, d’une seule technique. Dans le même temps, il serait inopportun de faire l’impasse sur l’une d’entre elles. Il y est tour à tour, mais surtout simultanément, question de photographie (donc d’images), d’architecture (donc de maquettes), de mise en scène (donc de décors) et de son (donc de musiques),

    Autrement dit, ce qui fait sens dans son travail, c’est la mise en œuvre de ces différentes disciplines, de ce corpus élaboré au fil des années, d’œuvres en œuvres, de pièces en pièces, reliées entre elles par la pensée circonvolutionante de l’artiste. Cet état de fait ne s’élabore, ne se construit qu’avec le temps et c’est le recul qu’induit celui-ci qui permet de mettre les realisations en perspective, de se rendre compte que chacune fait partie d’un ensemble (tout en gardant sa propre spécificité). Si chacune fait ainsi partie d’un puzzle, rien n’est figé, à commencer par le puzzle lui-même, à chaque fois recomposé, repensé, réactualisé en fonction des propositions de monstration ou d’expositions personnelles qui lui sont faites. De ce point de vue l’exposition monographique devient un des vecteurs essentiels de la connaissance et de l’expérimentation du travail de Pierre Besson (au même titre que cette publication, mais dans une autre perspective). Travail qui peut se déployer en toute autonomie, se revisitant lui-même à l’aulne des pièces nouvelles qui composent ses expositions et qui éclairent d’un angle différent – celui légèrement désaxé d’un rétroviseur? -celles qui les ont précédées.

     

    Ce que Pierre Besson nous donne à voir sont des constructions imaginaires qui déterminent des espaces mentaux, même et surtout s’ils sont réalisés, savamment bricolés pourrait-on dire, à partir d’éléments bien concrets et bien réels du quotidien, tels ces éléments issus d’ordinateurs qu’il a désossés. En fait, ce à quoi il s’attaque c’est l’unité centrale de l’ordinateur, celle qui contient les composants de ses principales fonctions et de sa mémoire. Affleure souvent dans sa démarche cette notion de fin de cycle, de fin d’un monde, puisqu’il s’en prend à une certaine forme de mémoire. Cependant il n’opère pas de façon désespérante – il ne s’agit pas de ruines – parce qu’un nouvel univers semble apparaitre sous nos yeux quand on se plonge dans son travail. Ces objets, ces éléments fragmentés, nous sont certes d’un usage quotidien, sans pour autant nous être vraiment familiers, puisqu’ils sont dissimulés à notre vue. Ils conservent une part de mystère, d’autant que pour une majorité d’entre nous le fonctionnement, la capacité de mémoire, de rapidité d’exécution de l’ordinateur échappent à notre entendement, à notre échelle de mesure. Les mettre en avant, les extraire de leur carrosserie, de leur boite métallique, leur accorde une nouvelle identité, tout en les faisant basculer dans le domaine de la fiction, tels sont un des enjeux de la démarche de Pierre Besson. Il est en effet difficile de les identifier en tant que tels. Ils s’apparentent à de nouvelles constructions et nous proposent par le fait même un nouvel imaginaire. Ils nous font basculer dans une autre dimension, sans doute ce que Pierre Besson appelle leur capacité de projection: Dans mon travail, tout est de l’ordre de la projection, l’idée d’intériorité est implicite. Les éléments considérés sont autant d’invitations à la projection. Ce sont des réceptacles potentiels d’images. Ils ont une grande disponibilité. La réalité extérieure vient s’y reconstruire, comme “rêvée” (1)

    A cet égard, son traitement de la couleur n’est pas à négliger: lui aussi contribue à la tonalité de l’ensemble, notamment à travers les caissons lumineux aux dominantes bleues et vertes assombries. De cette lumière entre chien et loup, symbole d’une activité au ralenti, d’une ambiance nocturne, où la présence humaine est latente mais invisible et où prédomine un silence tangible. Ce sentiment est renforcé par la vitre du caisson, certes transparente, mais qui opère malgré tout comme une barrière. On peut sans mal imaginer que toutes ces machines n’attendent qu’une impulsion pour se mettre à fonctionner avec leur bourdonnement caractéristique et diffus.

     

    D’objets noirs et de choses carrées

     

    Cette Gesamstkunstwerk intègre bien évidemment la notion de décor, au sens large, sans que l’on puisse pour autant parler d’environnement au sens où on l’entend aujourd’hui dans la sphère des arts plastiques. Notion à différencier de celle d’architecture, même s’il peut en être question par le biais.

    En fait, chez Pierre Besson, ce qui fait décor, ce qui fait l’objet de sa mise en scène – ou plutôt de mise en espace – c’est la conjonction entre ses images d’architecture (les caissons lumineux) et ses objets architecturés (ses sculptures en résine), et le cadre qui les accueille comme le démontrait de maîtresse façon une de ses dernières expositions précisément intitulée D’objets noirs et de choses carrées (1). Il s’agissait en fait d’une triple mise en abîme, le premier réceptacle étant cette Chapelle du Genéteil qui accueillait l’exposition, ensuite le plateau en bois qui supportait les œuvres comme un socle aplati (autrement dit, aucune pièce n’était accrochée ou installée à même les murs de la chapelle, provoquant cette mise à distance et donc cet effet de décor), plateau supportant lui –même une construction parallélépipèdique. Le centre de celle-ci était accessible, puisque ses parois intérieures comme extérieures abritaient une partie des travaux, les autres étant disséminées sur le plateau, à des échelles de hauteur variée: les expositions de Pierre Besson ne sont jamais focalisées à une seule hauteur de regard et requièrent donc une appréciation différente. La mise à distance induite par ces dispositifs cumulés implique d’abord un temps d’arrêt, afin d’évaluer ce “paysage artistique”. Pause rapidement suivie par un tour du plateau afin d’en découvrir toute l’amplitude, et avant de se décider, mais avec circonspection, d’y poser les pieds, de découvrir les œuvres placées dans l’espace et sur les parois de l’enceinte évoquée précédemment. L’ensemble forme un tout, à explorer sans hiérarchie aucune, les œuvres entrant en résonance les unes avec les autres, mais pas nécessairement. Toutes conservent leur autonomie mais prennent évidemment un sens, une profondeur différente, quand elles sont mises en relation, ne fut-ce que visuelle, avec leurs voisines.

    Il s’agit donc d’un vaste dispositif scénique, amenant le visiteur du pourtour obligé dans un premier temps (la définition et les limites de ce praticable) à une déambulation parmi les œuvres dont la majorité renvoie à des architectures, ou à leurs ersatz, soit sous forme de photographies, soit sous forme d’objets. A cet égard, les titres de toutes les pièces sont évocateurs et possèdent tous une consonance architecturale virant vers la fiction. Ainsi pour les photographies, il est question de Pavilion, de Dispositif, de Microloft, de Studio, de Terminal, de Radius et pour les objets de Vacuum, de Console, de Maison noire, de Carcasse, et d’une œuvre plus ancienne, comme Salle d’attente. Celle-ci, rassemblant notamment une documentation sur son travail, introduisait l’exposition proprement dite, dont une nouvelle production, Life on the inside, indique bien la portée. Nous sommes dans un autre monde, elle introduit à une partie de l’univers de Pierre Besson, et constitue en même temps une pièce singulière, dans tous les sens du terme, puisqu’elle bénéficie d’une contribution sonore originale du musicien David Toop.

       

     

     

     

    Les caissons lumineux

     

    Les éléments extraits de l’unité centrale sont photographiés dans un premier temps, agrandis dans un second, réapparaissent de diverses façons, notamment dans des caissons lumineux. Ces derniers les transcendent en leur accordant une identité artistique et en les écartant donc de leur fonction première. Nous ne sommes pas loin des ready-made, sauf qu’ils sont développés à un stade ultérieur, non anecdotique ou provocateur, et que l’on ne se pose donc plus la question de leur bien fondé.

    Outre qu’il s’agit sans doute de la façon la plus aisée de se familiariser avec le monde de Pierre Besson, une des particularités de ces caissons lumineux est que leur forme et leur fond se confondent, que le contenu et le contenant ne semble plus former qu’un seul et même objet. Les caissons ne représentent pas une architecture intérieure ou une maquette de celle-ci, ils se confondent avec elles. Ces fragments d’ordinateurs agrandis semblent plus vrais que nature avec leurs plans successifs, leurs parois, leurs jeux de perspective dans lesquels pénètre le regard du spectateur, dupé par la perfection de la prise de vue et surtout par le transformation de l’échelle de ces objets. On semble pénétrer dans de véritables architectures, faites de lieux successifs. Elles font penser à des espaces de travail du secteur tertiaire (bureaux, halls d’entrée, couloirs, ascenseurs) ou industriels (vastes halles aux structures métalliques apparentes, éclairages au néon), c’est-à-dire des lieux conçus par l’homme, à son échelle ou du moins à celle de ses besoins. Et pourtant, paradoxalement, tous ces endroits semblent déshumanisés. C’est là toute l’ambiguïté formelle de l’œuvre de Pierre Besson, passé maître en la matière et aidé par les technologies infographiques qui lui permettent de peaufiner ses images, de créer donc de véritables décors. Ce sont ces décors qui sont ensuite mis en relation dans les espaces d’exposition qui lui sont proposés et les praticables qu’il y fait construire, tel un metteur en scène de ses propres images ou le scénariste de ses propres fictions.

     

    Le rapport d’échelle

     

    Comme souvent chez Pierre Besson, c’est la question de l’échelle, qu’elle soit appliquée à ses photographies ou à ses objets qui amène la transformation du regard sur ceux-ci. On l’a vu, c’est à partir de cette intervention que les objets perdent leur identité première et leur qualité intrinsèque. Ainsi désincarnés dans un premier temps, ils deviennent par la suite des fragments de son propre travail, leur intégration leur conférant une nouvelle attribution. C’est aussi à partir de cette étape qu’ils accèdent à un corpus de formes et d’images relatif à l’univers de l’artiste. On pourrait presque parler d’une banque de données, d’une réserve de pièces – abouties et en expectative  – dans l’attente d’être utilisées par l’artiste qui y a déjà apposé sa marque.

    Au même titre que la photographie, la maquette est une des constante de la démarche de Pierre Besson. Elle est non seulement indissociable de son travail, elle en constitue l’axe de travail principal, celui par lequel il introduit la réalité dans sa fiction, précisément en s’attaquant aux rapports d’échelle de la première, puisant dans ces aspects techniques et mécaniques les conditions d’une nouvelle réalité virtuelle, caractéristique de la production de l’unité centrale des ordinateurs. Si ceux-ci produisent du virtuel par écran interposé, Pierre Besson utilise leur matrice pour élaborer ses propres espaces mentaux, ses fictions virtuelles, basées (en partie) sur les capacités de l’ordinateur à les gérer dans sa fonction première. Beau retournement de sens.

    Comme le souligne Alexandre Castant, “la maquette propose une interrogation intense sur la représentation et la perception” (3).

    Le principe de la maquette est quasi tautologique chez Pierre Besson, puisque, en introduction de ses catalogues, il n’hésite pas à reproduire les maquettes de ses précédentes expositions, visuels à ne pas confondre avec les vues d’expositions passées que l’on retrouve à juste titre dans ce type de publications (4). Phénomène assez rare mais suffisamment explicite pour se rendre compte de l’importance qu’il y accorde. Il n’y pas d’effet de redondance, mas plutôt une volonté d’unifier le travail, de ne rien dissimuler, corollaires d’une maîtrise totale d’une œuvre moins hermétique qu’il n’y paraît pour peu que l’on prenne le temps de s’y arrêter, de la décrypter avec les clés visuelles qu’il nous laisse, sans pour autant intervenir dans une quelconque interprétation. A chacun d’y élaborer son chemin à partir des nombreuses balises que dissémine Pierre Besson.

     

    De l’exposition

     

    L’exposition monographique constitue dès lors tant l’aboutissement que le terrain de jeu idéal pour Pierre Besson, celui où il peut mettre en relation ses images, les faire dialoguer entre elles, avec ses objets, avec ses architectures. L’exposition lui permet en quelque sorte de les valider, de vérifier le bien-fondé de ses pièces et surtout de les articuler les unes aux autres. L’exigence prospective et qualitative de l’artiste confère au contexte de l’exposition – en privilégiant la monographique plutôt que la collective – la forme idéale du déploiement de ses œuvres. La mise en scène n’est pas uniquement spatiale, elle est articulée d’une œuvre à l’autre, dessine un parcours, établit un itinéraire et engage le visiteur à l’expérimenter. Une exposition de Pierre Besson constitue un “décor”, dont il est à la fois le maître d’œuvre et l’architecte, autrement dit le concepteur de cette Gesamstkunstwerk évoquée en introduction.

    En même temps, il s’agit tout autant d’une œuvre de fiction qui fait appel à la mémoire et aux références du visiteur, qu’elles soient d’ordre plastique, cinématographique, architecturale et même musicale. Si le parcours est balisé, il n’en est pas pour autant aisé, car ses œuvres restent sans compromis, évacuent toute facilité, ne sont jamais univoques, cultivent l’ambivalence. Elles continuent à poser question, à susciter des interrogations dans une sorte dc symphonie où l’improvisation n’a pas sa place. Tout ceci n’empêche évidemment pas le spectateur d’élaborer son propre parcours, donc se perdre dans les méandres de la pensée de l’artiste, nous l’avons déjà évoqué également.

     

    Le mot symphonie appelle celui de musique, toujours présente dans le parcours et le travail de Besson. On connaît son intérêt pour une certaine avant-garde musicale, allant de Morton Feldman et Alvin Curran à Brian Eno et Soft Machine (5), au point d’avoir eu l’audace de commander une pièce sonore au musicien britannique David Toop. Lui aussi est un adepte d’une pensée circonvolutionante qui vient se greffer sur celle du plasticien et amplifier par le fait même son discours visuel. Ce relais musical constitue bien une autre forme de dialogue pour une démarche dont la forme participative ou associative constitue un des éléments de son évolution et de son développement.

     

     

     

    Cité dans Qui est là? (Une proposition de Pierre Besson et Philippe Hurteau), Paris, Jean-Michel Place, 2001, p. 44.

    Le Carré, Scène nationale et Centre d’art contemporain, Chapelle du Genêteil, 53200 Château-Gonthier, 2014.

    Alexandre Castant, Centre portatif et générateur d’images (in Pierre Besson, Insight, Angers, Musée des Beaux-Arts et Saumur, Monografik éditions, 2008, p. 11

    Pierre Besson, Insight, op. cit. p. 4, 7, 8 et 22 pour les expositions Microlofts (Compiègne, 2008), Insight (Angers, 2008), Inner (Vélizy, 2007

    Cet aspect est brièvement évoqué par Alexandre Castant dans son texte cité précédemment (p. 15)

     

    Bernard Marcélis

    Texte paru dans monographie Pierre Besson, Le Gac Press, exposition D 'objets noirs et de choses carrées, Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, 2014

    Les fantômes de formes

                                   

    Cette « image oubliée d’un tableau » évoquée en 1991 revient hanter les œuvres aujourd’hui réunies le temps d’une exposition. Et dans le contexte de cet ouvrage que dessine une anthologie consistante. Mais cette « image » semble avoir gagné en légèreté, en fluidité, elle a blanchi peut-être, au contact des écrans des ordinateurs, elle a parfois grandi, elle a résisté. En s’écartant des usages, elle s’est saisie d’une sorte de rêve sans objet apparent, elle a abusé des emplois hypothétiques dévolus au genre, ici à la photographie, là à la sculpture ou au dessin. Elle a appuyé sur ce qui faisait mal et on lui a renvoyé une note qui s’est mise à vibrer comme un cadeau de la lumière. Et remplir l’espace discrètement et durablement.

    Pierre Besson n’a eu de cesse de « retrousser » les constructions, repérer ce qui se trame sous les échafaudages, déplacer l’ordre du regard, révéler la vacance des objets, leur prêter des vides et des pleins dans la lumière froide du sens. Les architectures qui se déploient semblent parfois saisir leurs reflets comme si elles anticipaient leur séparation des sols où elles furent construites. Au bord des fleuves, dans les aéroports, les murs bilieux de béton bourdonnent, un angle tremble encore.

    J’ignore d’où viennent ces mots que j’ai consignés hâtivement sur un carnet : « Exprimer des doutes, c’est poser des limites. Mais l’art est sans limite ». Curieusement une note de Picabia revient dans un mouvement de croc en jambe : « Ce qu’il y a de plus difficile, c’est d’apprendre à siffler en anglais. » Distinction de la pensée qui assure une existence fameuse au paradoxe, à l’écart.

    L’art conceptuel nous avait habitués à des familiarités vis à vis du corps et de ses perceptions, forçant le trait, retirant l’affect, précipitant le visiteur sur des pistes enneigées qui avaient le don de corriger notre sens de l’orientation.  Les expositions comme les œuvres en deux dimensions de Pierre Besson se livrent à un jeu de désinformation, l’espace devient un intermédiaire, nous ne sommes plus associés au monde des humains, nous devenons les interlocuteurs de fantômes de formes livrées à la connaissance comme à l’absence. Nous ne sommes pas piégés, nous sommes le piège dans lequel le regard est invité à se poser et trouver une issue. 

    L’échelle organise notre relation au monde. Ce monde est sans miroir. Son vocabulaire s’est élaboré selon les principes de la dissection. Dissection de la machine, dévoilement de l’autorité urbaine, variation sans âge. En creux, oui, le son embrase ces mutations que fait subir Pierre Besson au vocabulaire électronique.

    Pour paraphraser Marguerite Duras à propos de l’écrit, nous pourrions ajouter : « Sculpter c’est n’être personne ». La saison interrogée ici n’est pas l’été, sans doute n’a-t-elle aucune composante identifiable dans nos cycles. A l’image de la saison devenue immuable, la maison nous plonge dans un abîme de vertus et de vices poétiques, tord notre goût de la définition, découvre la force inconnue du vide. Maquette, elle devient symbole d’un espace imaginaire. L’auteur, lui, donne l’impression de s’être définitivement écarté, d’avoir fondu, s’être brouillé avec une figure de plus en plus abstraite. Irréconciliable. 

    Les prises de vue d’un studio d’enregistrement ont été l’occasion de poser les bases d’une fantaisie architecturale et plastique. Pierre Besson n’est pas un capricieux, et les compositions inlassables auxquelles il s’adonne constituent rigoureusement l’alphabet d’un univers méditatif où la pensée prend place dans une durée, dans des zones de flottaison, des déserts et des failles. Immatériel ? Le regard a toujours besoin d’un geste de réajustement pour s’emparer de ce qui est sensible, mental, sous une lumière qui reste un lieu suspendu et dense. Un dessin sans trait ?

                                                                                 Pierre Giquel, le 2 mai 2015

    Pierre Giquel

    Texte paru dans monographie Pierre Besson, Le Gac Press, exposition D 'objets noirs et de choses carrées, Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, 2014

    Life on the Inside

     

    David Toop

     

    Finding myself in a room more dimly illuminated than the rest I noticed a strange absence of temperature, a neutrality I can only describe as lukewarm. Reflected light was perceptible through the two translucent windows but its source was not apparent from within. Waiting quietly for some minutes allowed me to feel a startling difference of environmental conditions: the physical pressure of sound waves passing around and through my body, some of them forceful enough to knock me off balance, others sticky or rough to the touch, even aggressive in their fluctuations around the exposed skin of my face. The effect was disquieting but I calmed myself; in a relaxed state these waves became gradually visible, not exactly as clearly defined shapes with edges but as disturbances in motion, some apparently decomposing and barely visible except as tattered trails, others close to the solidity of physical matter. To describe them as colourless would be wrong. Perhaps it was more a question of textural complexity perpetually in flux and at such a density and rapidity that colours seemed to emerge and fade at a frequency that left me quite bewildered. As a descriptive term, colour was inadequate but no other word would suffice. Also disconcerting was what seemed to me to be a lack of audibility. Resonance, yes, particularly when one of these passing forms corresponded to the resonating frequency of my skull or internal organs, yet I could hear very little of what we call sound. Time stood still.

    David Toop

     

     

    Me retrouvant dans une pièce plus faiblement éclairée que les autres, je remarquai une étrange absence de température, une neutralité que seul le terme tiède pourrait décrire. Un reflet de lumière était perceptible à travers les deux fenêtres translucides mais sa source n’était pas visible de l’intérieur. Après avoir attendu calmement pendant quelques minutes, je pus ressentir une différence saisissante de conditions environnementales : la pression physique des ondes sonores traversant mon corps et l’enveloppant, certaines dotées d’une force capable de me faire tomber à la renverse, d’autres collantes et dures au toucher, presque agressives dans leurs fluctuations autour de la peau exposée de mon visage. L’effet était inquiétant mais je pus retrouver mon calme; mon état détendu rendit ces ondes progressivement visibles, non pas comme des formes aux contours distinctement dessinés, mais comme des perturbations en mouvement, certaines apparemment en décomposition et difficilement visibles sauf leur apparence de traînées s’abîmant, d’autres proches de la solidité de la matière physique. Les décrire comme étant dénuées de couleur serait une erreur. Peut-être était-ce plutôt une question de complexité texturale perpétuellement en mouvement et à une telle densité et rapidité que les couleurs semblaient émerger et s’effacer à une fréquence qui me laissa abasourdi. Comme terme descriptif, la couleur était inadéquate mais aucun autre mot ne pourrait suffire. Le manque d’audibilité me sembla tout aussi déconcertant. Une résonance, oui, particulièrement lorsque l’une de ces formes passagères correspondait à la fréquence résonnante de mon crâne ou de mes organes internes, et pourtant je ne pouvais guère entendre ce que qu’on appellerait un son. Le temps s’était figé

    Traduction :  Anaîs Lasvigne

     

    David Toop

    Texte paru dans monographie Pierre Besson, Le Gac Press, exposition D 'objets noirs et de choses carrées, Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, 2014

    La Quinzaine Radieuse #15 – Du cochon à la tortue – Collection Bertrand Godot

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