À DESSEINS
Un texte écrit de Damien Moreira à l'occasion de l'exposition de Cécile Benoiton, VIES SILENCIEUSES du 11 au 26 janvier 2014 dans la Cabine du PAD, 3 bd Daviers à Angers.
À Angers, au 3 boulevard Daviers, dans deux salles d’un bâtiment du XVIII° siècle, un temps occupé par le centre régional des arts textiles (CRAT), puis réaménagé pour donner la possibilité à des artistes de travailler, une exposition de Cécile Benoiton.
Dans une salle, sol gris, murs blancs, des dessins sont accrochés. Certains couvrent les carreaux d’une fenêtre et une grande feuille de papier dentelé blanc, enroulée en une forme difforme recomposée, est posée par terre. Dans une salle, sol gris, murs blancs, deux projecteurs se font face et diffusent en grand de courtes vidéos sur l’espace entre deux hautes fenêtres de cet ancien orphelinat, occultées par d’épais rideaux. Perpendiculairement à ces projections, sur un mur, sur cinq petits écrans de la taill...
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À DESSEINS
Un texte écrit de Damien Moreira à l'occasion de l'exposition de Cécile Benoiton, VIES SILENCIEUSES du 11 au 26 janvier 2014 dans la Cabine du PAD, 3 bd Daviers à Angers.
À Angers, au 3 boulevard Daviers, dans deux salles d’un bâtiment du XVIII° siècle, un temps occupé par le centre régional des arts textiles (CRAT), puis réaménagé pour donner la possibilité à des artistes de travailler, une exposition de Cécile Benoiton.
Dans une salle, sol gris, murs blancs, des dessins sont accrochés. Certains couvrent les carreaux d’une fenêtre et une grande feuille de papier dentelé blanc, enroulée en une forme difforme recomposée, est posée par terre. Dans une salle, sol gris, murs blancs, deux projecteurs se font face et diffusent en grand de courtes vidéos sur l’espace entre deux hautes fenêtres de cet ancien orphelinat, occultées par d’épais rideaux. Perpendiculairement à ces projections, sur un mur, sur cinq petits écrans de la taille d’une tablette tactile tournent en boucle de courts films. À Angers, au 3 boulevard Daviers, selon le terme souvent employé par le collectif BLAST, organisateur de l’évènement, Cécile Benoiton montre.
Les dessins présentés varient en fonction de la taille ou la nature de leur support. Sur certains, l’espace est envahi, saturé par une mine de plomb ou une mine dorée ; l’ombre et la lumière jouent avec la surface et le déplacement. Sur d’autres, une forme se répand à coup de traits, de traces et de hachures. Sur d’autres encore, le papier est déformé par des crayons insistants et des petites perforations. La surface est travaillée, la surface n’est plus plane, elle se gondole, se creuse et est creusée. Cécile Benoiton met en place des processus de travail et s’éloigne de l’utilisation habituelle, plus attendue d’un matériel de dessin. Armée de poinçons ou autres pointes, l’artiste « éprouve la résistance et les limites de la matière » et crée ainsi de nouveaux champs d’action. Dans un geste répété, acharné, elle mêle matières et couleurs, fonds et formes.
Comme une envie, une disposition de se laisser séduire, hypnotisée par les couleurs et les effets découverts pas à pas, l’artiste s’aventure dans et sur la feuille portée par l’incontrôlable. Loin d’un travail cathartique ou sacrificiel dans lequel l’artiste s’immergerait sans recul et sans échappatoire : comme condamnée, Cécile Benoiton lucide, entre comme un observateur dans la multitude de ces formes. Elle déclenche ou non l’accident, détermine le relief ou la faille, observe l’effet produit et le confronte à un autre. Si le hasard intervient, c’est avec maitrise qu’elle le laisse opérer ou le stoppe pour produire l’effet graphique escompté. Des ombres de paysages se dessinent et flottent. Des falaises fantomatiques aux couleurs vives apparaissent et s’effacent. Des arbres inconnus feuillus, se déploient comme des rhizomes. Les formes peuvent être vaporeuses et l’application du crayon balayée d’un revers de main, crée une aura et le sujet irradie.
L’observation, l’imprédictibilité, l’accident, la transformation, l’accumulation, sont autant de leitmotivs que l’on trouve dans les vidéos de Cécile Benoiton, avec comme lien inhérent : le corps comme outil, acteur ou actant.
Le point de départ de ses films est l’observation. Cécile guette. Elle est à l’affut d’accidents, de réactions, de phénomènes venant perturber la monotonie du quotidien. De la blague potache du cinéma originel des frères Lumière (l’Arroseur arrosé de 1895) à la pastille de « mentos » plongée dans une bouteille de cola (traditionnel collégien), Cécile Benoiton met en scène et réarrange dans un souci de sens et d’esthétisme, les petits travers, les accrocs quotidiens, les fruits du hasard et de l’inattention ou de l’inattendu.
Les moyens utilisés sont souvent simples et renvoient à la magie des films de Méliès et de l’aube du cinéma. Les vidéos sont de courte durée (quelques dizaines de secondes), rarement en couleurs ou sonores et le sujet cadré en gros plan.
Mais, par ces dispositifs, ces faits anodins, souvent risibles, sont déplacés et glissent vers d’autres territoires. Le rire s’assombri parfois lorsqu’un pied se tord et ploie tout doucement sous le poids du corps (Pise-2008-), ou lorsque, l’artiste, face à la caméra, dessine sur le mur situé derrière elle et, dans un geste vif, trace des lignes sur son cou. Le corps est ainsi inclus dans un paysage et la tête est comme séparée du corps. Tracer, tracer, trancher… (Obstacle à l’horizon-2008-).
Le rire s’estompe aussi, parfois, pour laisser place à la contemplation. Comme dans cette vidéo où, en retournant l’image, des lèvres viennent délicatement cueillir un petit poids. Un petit poids suspendu à un tas de petits poids. Une scène lente, filmée comme en apesanteur. (Un possible-2013-).
C’est avec simplicité que les images de Cécile Benoiton déplacent l’anecdote, le premier effet dans une interrogation plus grande, un champ d’expression plus vaste que le simple constat ou le témoignage.
Un lien est délicat à établir entre les dessins de Cécile Benoiton et son travail de vidéos. Les dessins obéissent à une implication au plus proche de la matière où l’artiste semble progresser par instinct, tout en mettant en place un vocabulaire pictural et des outils précis. Le résultat est abstrait. Le support est déformé. Les formats sont variés. Les vidéos présentent une réalité, une narration ; un fil conducteur plus évident. Mais à bien y regarder, les deux sont nécessaires dans sa démarche et l’acuité de son regard se pose alors, sur la matière plastique et la matière offerte, que représente l’univers des possibles du monde qui nous entoure.
Le moindre accident, les moindres travers sont diffusés en boucle sur les réseaux sociaux. Une situation calculée, dans un bref instant peut basculer, ou une image peut, être instrumentalisée, maîtrisée, sans faille apparente et apparemment. Face à cette prolifération, Cécile Benoiton, choisi, comme dans ses dessins de ne pas se contenter d’un premier constat. Elle ne se fit pas à une première impression, mais décide d’avancer, de questionner et d’utiliser ces défauts, ces accidents, ces ratés comme une matière. Elle travaille ces situations au corps à corps, et avec son corps. Elle les digère et en régurgite le plus substantiel pour mieux extraire de ces dénis constants, de cette volonté de perfection ou d’infaillibilité, une grâce subtile nous invitant à mieux nous accepter ou sinon, mieux rire de nous-même…
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