Une interview de Christelle Familiari par Frédéric Emprou* à l'occasion d'une série de 3 expositions personnelles de l'artiste à Paris.
Galerie Benoit Lecarpentier, 16 rue cafarelli 75003 Paris - du 14/09 au 30/10.
Atelier Fabrice Hyber, 59 rue de l'Aqueduc 75010 Paris - du 14/09 au 30/10.
l'espace d'en bas, 2 rue Bleue 75009 Paris - du 20/09 au 29/10. Vernissage le vendredi 17 septembre dès 18 h.
En savoir plus : le site de Christelle Familiari, Galerie Benoit Lecarpentier, l'espace d'en bas
*Frédéric Emprou est critique d'art, il collabore pour diverses revues et a publié dans divers ouvrages collectifs, catalogues d'art contemporain.
Familiari, situation idéale
Des collages sur papier glossy de magazines en noir et blanc aux totems en argile, ruines grises d'un paysage antique hors temps, les dernières oeuvres de Christelle Familiari tiennent du baroque low tech. Sédiments de drapés et de minéralité d'ameublement, à l'image d'un trombone déplié sous des mesures exubérantes ou de vestiges miniatures baignant sous l'ampoule précieuse d'une lumière Renaissance, les récentes sculptures d'intérieur de l'artiste se déclinent selon des touches sophistiquées et la connotation improbable, l'aréopages d'objets et la maille célibataire.
Variations toniques préférant une basse définition qui décloisonne gravités et volumes, Christelle Familiari présente dans le même temps, sous des formats gigognes et expansés, une cinquantaine d'oeuvres à la galerie Benoît Lecarpentier, l'atelier Fabrice Hyber et l'Espace d'en bas. Trois ambiances comme autant de moments différents poursuivant les trajectoires prolixes d'une geste plastique en constante mutation et reformulation. Bref retour avec l'artiste sur une rentrée parisienne, dense et sémillante.
- A quoi correspond le titre générique "Idéal" de ces trois expositions ?
Je désirais un titre plus enjoué que ceux de mes précédentes expositions comme Flaques au centre d'art de la Criée de Rennes ou Trou noir à la Fondation d'entreprise Ricard à Paris. Je voulais prolonger l'optimisme de celle de Château-Gontier qui s'intitulait Sculptures en forme. À l'annonce des trois invitations simultanées à la galerie Benoît Lecarpentier, l'atelier de Fabrice Hyber et l'Espace d'en bas, la chanson de Barbara Carlotti, L'idéal, me revenait un peu comme une ritournelle. Quelque part, je pense qu'il s'agit d'une position idéale de bénéficier de ces trois lieux à Paris pour montrer mon travail.
- Séquences emblématiques, tes expositions se déploient selon une cartographie diffuse pour laquelle les titres semblent constituer des indices sensitifs ou des images...
J'aime que l'on soit surpris face à mes sculptures, voir quelque peu dérouté. Chacunes d'entre elles dégagent une personnalité ainsi qu'une présence assez forte. Je tiens du coup à les nommer et leur donner un titre pour mieux les identifier et les apprivoiser.
- Comment conçois-tu ces trois volets et la circulation entre les endroits qui constitue dès lors un parcours quant à ta production actuelle ?
J'avais d'abord pensé à la configuration de chaque exposition par rapport aux espaces proposés. J'adore trouver une installation spécifique pour chaque endroit, faire en sorte que les sculptures puissent s'adapter et habiter les lieux. La majeure partie des pièces que l'on peut voir dans les deux galeries avaient déjà été présentées à Château-Gontier mais dans une configuration totalement différente. On passe ainsi des 300m2 de la Chapelle du Genêteil au 40m2 de la galerie Benoît Lecarpentier. L'ensemble montre un panel général assez marquant de ma pratique artistique ainsi qu'un réseau dans lequel les sculptures deviennent totalement autonomes. Le geste et la notion de confection s'y retrouve omniprésent, avec cette particularité de croiser l'assemblage brut à des entrelacements plus méticuleux en flirtant même avec le design. Tout cela avec beaucoup de légèreté, de drôlerie et de liberté.
- Avec notamment des clins d'oeil successifs à l'arte povera, serais tu d'accord pour parler d'un affranchissement frondeur quant à la définition de genres et de catégories devant tes objets sculpturaux ?
Je pense effectivement avoir trouvé une certaine facilité ainsi qu'une aisance en rapport à ces données. L'idée de ne pas faire seulement acte de référence à un certain type d'oeuvres, mais plutôt de procéder comme s'il s'agissait d'en avoir ?'ingurgiter ? un ensemble. Cela m'offre la possibilité d'en jouer, de la même façon que je crée des échos avec plusieurs démarches artistiques et historiques.
- De la même manière que l'on pourrait évoquer un certain lâcher prise en regard d'autres productions plastiques contemporaines ?
Etre généreuse tout simplement.
- Pour parler de matériologie, ce qui se distingue au travers de ces nouvelles pièces, c'est notamment la référence appuyée au mobilier et au design...
Selon moi, une oeuvre d'art accompagne notre quotidien, elle se doit de révéler d'une promiscuité avec notre environnement dans un constant dialogue avec notre corps. Quand je suis allé au CIAV à Meisenthal, les verriers m'ont montré les différentes techniques du verre et j'ai pu mener différents projets concernant des luminaries. Dans ce désir d'instaurer une relation avec le design, je recherchais une sculpture qui entretienne à la fois une présence individuelle dans un espace privé, mais aussi lorsqu'on la montre par le biais d'une installation, puisse éclairer l'ensemble de l'exposition. Pour le projet du lustre Méduse, la Gorgone, je voulais traiter de cette image figurée et mythique, l'idée supposée que l'on se trouve pétrifié face à elle.
- De quelle façon envisages-tu l'élément manufacturé récupéré et les statuts hybrides que tu lui confères ?
Dans la galerie Benoît Lecarpentier, les oeuvres présentées développent un caractère primitif qui se rapproche de formes brutes, cela pourrait correspondre au registre intériorisé et du domaine intimiste. À l'atelier de Fabrice Hyber, c'est le contraire, les sculptures renvoient à quelque chose d'atmosphérique qui conjugue ludique et oisiveté. Plus léger que des socles, les planches à roulettes, qui m'ont déjà servi pour mes flasques en céramique à Tarbes et à l'Espace Ricard pour des sculptures en fil de fer, suggèrent la possibilité d'une mobilité. J'aime bien imaginer l'idée que les sculptures pourraient se déplacer à leur guise et que rien ne s'y trouverait fixe et fixé. Réalisées spécialement pour cette invitation, les sculptures colorées et disposées sur ces planches à roulettes participent de cette logique. Les associations de matérieaux révèlent des images et des paysages inattendues, elles génèrent des textures et des situations interlopes. A l'Espace d'en bas, une relation avec l'univers du cabinet de travail et de l'état de veille peut être aussi interprétée de la même sorte.
- Il y a quelques temps, tu m'avais parlé d'un rapport particulier avec la picturalité mise en présence par ces agencements hétérogènes dans l'espace...
Je compose une exposition comme si je composais un tableau.
- A l'instar de collages, s'agit-il de la même question d'espace-temps que l'on peut retrouver dans tes performances ou tes vidéos ?
Pour moi, tout se déploie d'une manière logique et successive.
- Un espace-temps qui résonnerait alors un peu comme une référence aux paroles de la chanson de Carlotti ?
"Nous passerons nos vies, dans des lieux sublimes, à lire en sirotant l'alcool, des textes décadents, sur la nature de l'Homme, sur ses plaisirs futiles, et nous rirons à pleines dents..." *
*Extrait d'Idéal in L'idéal, Barbara Carlotti, 4AD, mars 2008.
A l'issue des expositions, un dvd est édité par Ecart production, Christelle Familiari vidéos 2004-2006, ainsi qu'un catalogue retraçant les différentes expositions personnelles de l'artiste depuis 2003, coédité par les centres d'art contemporain du Parvis à Ibos et de la Chapelle du Genêteil à Château-Gontier.