Une interview de Cécile Paris par Frédéric Emprou
Les vidéos de Cécile Paris aiment à conjuguer l’électrique fantaisie et l’alternatif des situations, les travellings et les lignes rythmiques, autant de manières de filmer comme d’opérer des mises en boîte. Boucles, boules à facettes et corps en mouvement deviennent les échos à des toiles de fond et les prétextes à des variations dans le décor. Jusqu’au mois de janvier prochain, dans l’exposition Collector au Tripostal de Lille, l’artiste présente Code de nuit, une oeuvre qui déploie le motif de la discothèque en questionnant sa représentation. Sous des allures de carnet de bal énigmatique et d’invitation masquée, Cécile Paris revendique la stratégie des combinatoires telle une façon de tourner autour de son sujet. Jouant du hors champs et des modulations, l’artiste apporte ses éclairages quant à la pièce en question. Oeuvres au noir pour une party des jours.
Qu’est ce qui se cache derrière Code de nuit ?
En fait, Code de nuit a débuté l’été dernier par le biais d’une bourse de recherche du CNAP et d’une résidence au Cent quatre, pendant laquelle j’avais invité une quarantaine d’artistes à réfléchir autours du thème de la boîte de nuit. C’est suite au compte rendu réalisé à partir de ce moment que j’ai été invité à l’exposition Collector qui présente des œuvres de la collection du CNAP. Au Tripostal, Code de nuit est une commande spécifique produite par le CNAP et Lille 3000.
Comment apparaît Code de nuit dans le cadre de l’exposition Collector ?
Code de nuit est un label qui peut prendre plein de formes différentes, et notamment celle de l’exposition. Mais ce projet que je mène depuis l’année dernière n’est pas exclusivement conçu pour être exposé. Collector en constitue la deuxième occurence, après l’Atelier de création qui a été diffusé sur France Culture la semaine dernière¹. Pour ce contexte, il s’agit d’un espace réalisé comme une installation, dont les éléments font œuvres avec le motif de la boîte de nuit. Ce lieu devient un prétexte pour activer un atelier ouvert dans lequel des artistes viendront travailler pendant les trois mois de durée de l’exposition.
En journée, on se retrouvera donc dans une atmosphère particulière ?
Le visiteur pourra entrer dans un endroit un peu noir avec de la musique, de la même qu’il pourra se retrouver en face de gens en train de danser où de quelqu’un en train d’écrire. Fabrice Gallis s’est occupé d’une programmation lumière et musique pour Code de nuit. Il a travaillé avec des lumières qui varient dans le temps sur un rythme particulier, avec cette idée de rendre physique l’évocation d’une boîte de nuit fonctionnant de 10h à 19h pendant trois mois. Chaque journée est divisée en six temps : les jours, les nuits, aube, soir, extase et fermeture. Ces six moments correspondent à des play-lists musicales réalisées par des artistes de Code de nuit et qui s’organisent selon des qualités de lumière différentes. L’ensemble est piloté par un ordinateur et un programme dans le Tripostal.
Code de nuit y occupe un espace de 400 m2…
Code de nuit se trouve à la fin du parcours de l’exposition Collector qui développe le mode classique de l’exposition, avec un white cube et des cartels. Il y a un gros contraste avec Code de nuit, où l’espace est quelque peu abîmé et non repeint. Celui-ci qualifie assez bien la proposition pour ce qu’elle est, c'est-à-dire quelque chose qui a à voir avec le vivant, le laboratoire, l’œuvre pas terminée. Une histoire de comportement et de ce qui va se passer…
Avec l’idée d’œuvres en train de se faire…
Code de nuit, c’est une boîte de nuit qui s’expose. Les artistes font partie d’un processus comme dans un laboratoire où les choses sont en train de se fabriquer. La question de la nuit, du night club et de la discothèque, c’est l’objet de la recherche. Ce qui est plutôt drôle, c’est qu’il y a plein de niveaux qui se déploient dans des temporalités différentes. Il y a déjà des endroits où il y a des traces de choses pas terminées, on est dans un temps très particulier… J’aime bien… Des choses qui restent du vernissage, un artiste qui a déjà punaisé une petite photo sur laquelle il va revenir travaillé, on sent déjà qu’il s’agit d’un espace traversé.
Le label Code de nuit produit des pièces et développe des collaborations entre des artistes qui se rencontrent par cet intermédiaire, pourrais-tu citer des exemples de ces croisements ?
Il y a vingt-six artistes réunis pour Lille, et qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui sont passés par le Centquatre. J’aime employer le terme de communauté, plutôt que de collectif dans la mesure où quelqu’un peut être invité du jour au lendemain. Cela reste extrêmement ouvert. Edith Commissaire réactive son projet de cocktails qu’elle avait entamé au Centquatre, qui associait l’idée de jardin et de nuit. Au Tripostal, elle a fabriqué un bar qui ne peut servir que 24 verres, installés sous un système d’arrosage. En ouvrant l’arrosage, les verres se remplissent d’eau, dernière étape du cocktail, après l’ajout d’ingrédient et d’alcool. Je pense à Pierre Giquel et Florian Sicard, qui poursuivent leur collaboration après la chanson L’Essentielle. Le week end dernier, Arnaud Labelle-Rojoux travaillait avec des gens qui prenaient des cours de danse de salon et à qui il venait expliquer sa collection de danses disparues des années 60. Il leur montrait un modèle et chacun apprenait un mouvement de danse. Le visiteur qui passait par là, il pouvait voir une grand-mère en train de danser le twist…
On a l’impression d’un rapport désactivé avec le public ou qui au contraire semble jouer avec. Cela me fait penser à l’exposition de Leigh Bowery à la galerie Anthony d’Offay quant à ce lien entre vitrine et attitude…
Dominique Gilliot, qui intervient dans Code de nuit, m’a fait parvenir une citation d’Allan Kaprow, qui disait en substance, quant à la destinée des musées et des œuvres d’art, que celles-ci finiraient sans doute un jour par être montrées dans des piscines ou des boîtes de nuit. Il y a plein de rapports entre la boîte de nuit et la piscine, notamment le principe de scène et de regarder les autres. C’est ce qui m’a intéressé dans la boîte de nuit, l’idée de voir et d’être vu. Tu vas autant en boite de nuit pour danser que pour regarder. C’est ce que raconte Yann Wagner, un des autres invités de Code de nuit qui a fait un mémoire sur l’histoire des clubs. La boîte de nuit, c’est un espace où tu peux t’amuser tout seul et fabriquer toi-même un spectacle que tu regardes, en étant dans le spectacle en train de se faire. Code de nuit rejoue cela avec les visiteurs, dans un moment où se développe une frontière floue.
Face à cette notion du spectacle et d’un spectaculaire, ce dispositif tel que tu le racontes génère des ambiguïtés…
C’est une vraie résistance, et cela fait longtemps que cela me travaille. Il n’y a pas de programme officiel de Code de Nuit, comme pour un festival classique avec des dates de présence des artistes. La forme de Code de Nuit expérimente ces interstices, il y a une certaine l’utopie là dedans. Cette histoire de lieu intermédiaire dans lequel se situe le non spectaculaire et le hors champs, où il peut se passer quelque chose sans qu’il ne passe rien au final. Et réciproquement, de façon imprévue.
Avec cette manière de parler de communauté au lieu de collectif, il y aurait cette idée d’être à l’intérieur d’un endroit et d’un contexte pour instaurer un suspens autour de ces questions ?
A mon sens, il y a une vraie pensée dans l’exposition du Tripostal, qui dit beaucoup de choses sur l’art des vingt-cinq dernières années. Ce contexte situe bien le projet de Code de nuit et ses enjeux, qui ont plus à voir avec des propositions critiques liées à la monstration des œuvres. On se trouve plutôt dans l’abandon de l’objet, on s’éloigne de cette affaire de sculpture, avec l’envie de faire des propositions de plus en plus immatérielles. Il y a aussi cette histoire de rumeur à laquelle je tiens beaucoup. L’art est très expliqué aujourd’hui, je pense à la médiation des œuvres dans les expositions, à la visite guidée. L’expérience physique ou sensorielle de l’œuvre a tendance à être un peu empêchée avec tout cela. L’espace de Code nuit contrecarre un peu ces présupposés parce qu’il est énigmatique, comme si il interrogeait cette volonté de toujours vouloir accompagner l’art. Quand tu travailles sur des formes dites plus populaires ou existantes, il y a un phénomène de reconnaissance implicite et simple. Dans Collector, se trouve l’auto-tamponneuse de Pierre Ardouvin, une œuvre très forte parce qu’elle fait sens tout de suite. J’essaie d’être dans le même niveau de signe, comme dans mes vidéos…
Pour évoquer les acteurs évoluant sur ce plateau, il y a sans doute des sens spécifiques à entendre derrière le mot « artiste » dans Code de nuit…
Derrière « artistes », il faudrait plutôt entendre « chercheurs ». Il y a des écrivains, des historiens, des architectes et des chorégraphes, c'est-à-dire des gens qui ne travaillent pas de la même manière, c’est ce qui m’intéressait dans cette idée. Au Centquatre, au début de cette recherche autours de la boîte de nuit, je me suis rendu compte que j’étais incapable de la nourrir toute seule. Si je voulais faire avancer le projet, il fallait le proposer à d’autres gens pour me retrouver dans des histoires que je ne connaissais pas…
Une donnée fictionnelle et prismatique …
Personnellement je n’ai rien de particulier à dire sur la boîte de nuit, je ne suis pas une spécialiste des boîtes de nuit. Il s’agissait de trouver une manière de transformer des envies d’images qui ont à voir avec la nuit et certaines esthétiques. La danse, la musique, l’esthétique de la boule à facettes… La boîte de nuit, c’est une boîte où tu mets tout dedans. Cela interroge une multitude de questions notamment de société et d’histoire. Inviter d’autres gens à chercher, c’est une intuition qui constitue l’identité de Code de nuit, le désir de chercher à plusieurs comme dans une communauté. J’ai l’habitude de travailler avec d’autres gens par le biais de la vidéo dans ce rapport à la prise directe, la musique et les acteurs possibles. Là pour le coup, l’histoire de la boîte de nuit a multiplié tous ces rapports.
Quelle est ta situation dans cette trame ? Celle d’une chef d’orchestre ?
Oui, c’est un peu çà… Pas metteur en scène, mais chef d’orchestre, c’est pas mal. Si on reprend l’idée du plateau de tournage de cinéma, l’équivalent serait le metteur en scène, mais je ne crois pas que cela corresponde. On n’est pas dans une mise en scène parce qu’il y a plusieurs voix mises en jeu.
Comment envisages-tu la suite pour Code de nuit après Lille ?
Je vais acheter une boîte de nuit… Non, en fait, j’aimerai bien que cela soit montré à l’étranger dans des endroits lointains où il n’y aurait pas la culture du club. Par exemple en Inde… J’aimerai bien aussi qu’il y ait des formes plus légères comme des après-midi…
Code de nuit peut prendre des allures très nomades…
Avec Fabrice Gallis, on aimerait bien décliner le programme qu’il a construit sous la forme du kit ou de la boîte. Quelque chose qui se brancherait et qui ferait que tu es dans un temps Code de nuit avec une lumière et un son, sous un format très petit. Si on arrive à faire exister cet objet là, je me vois tout à fait l’actionner à des moments particuliers, et même en plein air. J’ai envie que cela répondre à des invitations…
Fatalement tu retombes sur ce rapport de comportement, d’ergonomie et de création…
On est dans la boîte, on essaie d’en sortir… Voilà, çà fabrique sans arrêt autre…
¹ Ecouter l'atelier de création (France Culture) de Cécile Paris<
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