Dans le cadre de nos projets de résidence et d'exposition à Berlin à l'automne 2009, nous avons proposé à Renaud Regnery de nous faire part des expositions, des événements qui ont particulièrement retenu son attention dans la capitale allemande.
Renaud Regnery est artiste et curateur pour Sox, Berlin
(www.sox-berlin.com)
Images :
Courtesy galerie Wentrup
Que ce mois de mai ne s'achève jamais
Focus sur l´exposition « Daß dieser Mai nie ende » ( Que ce mois de Mai ne s´achève jamais) de Gregor Hildebrandt, à la galerie Wentrup et dans le cadre du Berlin Gallery Week-End. Cet événement, de plus en plus visité depuis sa première édition en 2007, consiste en une série d´expositions qui ouvrent simultanément dans les galeries berlinoises tout au long du premier week-end...
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Dans le cadre de nos projets de résidence et d'exposition à Berlin à l'automne 2009, nous avons proposé à Renaud Regnery de nous faire part des expositions, des événements qui ont particulièrement retenu son attention dans la capitale allemande.
Renaud Regnery est artiste et curateur pour Sox, Berlin (www.sox-berlin.com)
Images : Courtesy galerie Wentrup
Que ce mois de mai ne s'achève jamais
Focus sur l´exposition « Daß dieser Mai nie ende » ( Que ce mois de Mai ne s´achève jamais) de Gregor Hildebrandt, à la galerie Wentrup et dans le cadre du Berlin Gallery Week-End. Cet événement, de plus en plus visité depuis sa première édition en 2007, consiste en une série d´expositions qui ouvrent simultanément dans les galeries berlinoises tout au long du premier week-end de mai.
Gregor Hildebrandt, né en 1974, appartient à la toute jeune scène artistique allemande et représente bien ce qu´elle est de dynamisme et de créativité. Du 1er mai au 13 juin 2009, il investit à lui seul les 200 mètres carrés de la galerie en procédant à un accrochage surprenant dont cinq pièces en particulier retiennent l´attention.
La première oeuvre qui s´impose au spectateur dès l´entrée dans l´espace est un imposant tableau noir de format carré (252 x 258 x13cm) sur les quatre tranches duquel se dressent des bouteilles vidées, Magnums ou jéroboams de champagnes (des marques les plus fameuses), bouteilles de bière ( Astra, Berliner, etc.) ou de vins. Sur certaines d'entre elles reposent encore des bougies partiellement consumées et l´on comprend qu´il s´agit là des cadavres d´une soirée festive, peut-être décadente. La surface du tableau est recouverte de bandes magnétiques de cassettes audio, collées côte à côte et verticalement, dont le contenu musical nous est indiqué par le titre de l'oeuvre: l´album Pornography des Cure.
La bande magnétique de cassettes audio, par sa texture spécifique et pour sa malléabilité en tant que médium de stockage, est le matériau de prédilection de Gregor Hildebrandt. On la retrouve sur un cut out de format moyen (157 x 130 cm) dont les zones découpées dessinent un imbroglio de formes noires s´apparentant à des taches ou à des coulées de peintures sur fond blanc. On pense immédiatement à Jackson Pollock devant ce dripping extrêmement distancié et cependant habité par le contenu de la bande sonore : Gimme danger de Iggy Pop.
En vis-à-vis, une oeuvre monumentale recouvre la quasi-totalité de la paroi et déploie 8960 boîtes de cassettes audio ordonnées dans un système d´étagères resserrées et dont les tranches juxtaposées forment une surface de près de huit mètres par trois mètres. Les noms des groupes ou des albums sont parfois lisibles sous une couche de peinture blanche et matte, tel l´apprêt d´une toile gigantesque. Sur ce réceptacle, un large paraphe d´une gestualité fulminante est peint de couleurs marron rouge et ombre verte.
Ce geste, nous indique l´artiste, est inspiré de l´oeuvre « Yellow and Green Brushstrokes » de Roy Lichtenstein (1966) représentant des coups de pinceaux en points de trame.
Sur un dernier mur, dans une vitrine insérée de 33 x 33 x 33 cm, repose un mégot de cigarette fumée par l´artiste. Cette oeuvre sobrement intitulée « Rauch » (fumée) fait notamment référence à la « Fiato d´artista » (Souffle d´artiste) de Piero Manzoni (1960) qui, nommant ainsi les ballons qu´il gonflait, posait en pionnier la question des pratiques artistiques comme critiques de la production de masse et du consumérisme. C´est par cette oeuvre, la plus discrète et la moins spectaculaire, qu´il faut comprendre l´ensemble du dispositif d´Hildebrandt comme une dialectique de l´identification physique et psychologique à une histoire portée symétriquement par la culture rock et par l´art moderne.
En évoquant simultanément Iggy Pop, parrain du mouvement Punk et Jackson Pollock, figure légendaire de l´expressionnisme abstrait, l´artiste soulève parallèlement les principes, portés par le Punk, de l´expression brute et spontanée, du nihilisme ou de l´anticonformisme, et le thème de la crise existentielle de l´homme moderne à partir de laquelle Pollock définissait sa démarche.
De même, le spectre de Lichtenstein nous remémore les stratégies du Pop Art américain, affectant ironiquement une indifférence critique à l´égard de l´environnement ultra-capitaliste en éliminant de l´oeuvre tout contenu personnalisé et nostalgique.
En posant la question des idéaux et des mythes fondateurs de la modernité, Gregor Hildebrandt définit une oeuvre en tension où se répercute la problématique des enjeux de la création artistique dans l´époque charnière qui est la nôtre. Donnant à voir une série d´oeuvres politiquement incorrectes, démesurées, ou proche du presque rien, il prend le contre-pied de la tendance générale perçue dans le cadre de ce Gallery Week End pour lequel les galeries, souvent, s´avèrent surtout soucieuses de rentabiliser l´opération.
Il définit cependant une esthétique à la fois froide et séduisante dans laquelle se dessinent les formes de l´après-modernité, et l´on ne peut s´empêcher de penser à Dan Graham, dont les réflexions et analyses de la culture rock depuis le début des années soixantes accompagnent l´une des oeuvres les plus pertinentes qui soit. Gregor Hildebrandt, au-delà de la sculpture qu´il lui dédie, « Fundstück für Dan Graham » (Morceau trouvé pour Dan Graham), lui rend brillamment hommage.
Comme Steven Parrino l´écrivait : « L'avant-garde laisse un sillage et, mue par une force maniériste, elle poursuit son avance ».
Images : Courtesy galerie Wentrup