Projet Sully 3, bâtiment du Conseil Général de la Loire Atlantique
Entretien avec Béatrice Dacher
par Emmanuelle Chérel
Tu t'es longtemps définie comme peintre, même si tu n'as plus recours à ce médium mais à la photographie, à l'installation, la projection, etc..., Qu'est-ce qui t'a conduit à accepter ce projet architectural ?
Cela m'intéressait de travailler autrement et à une telle échelle. En 2006, les architectes de l'agence Forma 6 ont pensé à m'associer à leur projet architectural du fait que je travaille sur le motif. Ils souhaitaient réaliser une peau pour un bâtiment et que celle-ci le recouvre entièrement. Leur idée était donc que je produise un motif pour cette peau. Le projet d'une forme répétée, découpée, détourée, s'est imposé rapidement.
Il faut toutefois dire que je n'avais pas créé de motif jusqu'alors. Je prenais toujours des motifs existants que je trouvais et réutilisais comme dans « Elles sont belles tes roses », « La maison où j'ai grandi »..., je les empruntais à des espaces intérieurs (tapisserie,...) que je repeignais et que je remettais en situation dans un espace public ou privé.
Comment as-tu travaillé ?
Je me suis d'abord promenée, j'ai regardé le quai, puis le quartier en observant ses caractéristiques et le site avec plus de distance. Ce bâtiment est dans une pente. Il y a deux points de vue : En haut de la place parking entourée de tous ces bâtiments 18ème siècle. Et en bas presque les pieds dans l'eau, avec un paysage semi naturel. J'ai fait plusieurs repérages et constitué un carnet de recherches, avec des photographies soulignant des détails. Puis j'ai sélectionné des images et donc proposé un regard.
L'eau verte de l'Erdre m'intéressait parce qu'elle est ridée et prend les nuances colorées de tout ce qui s'y reflète, de tous ses alentours.
À partir des formes reflétées sur la surface de la rivière, j'ai alors constitué un premier motif, mais il s'est révélé trop abstrait. À la découpe, il m'est apparu assez pauvre. De plus, il ne laissait pas une ouverture suffisamment large au niveau des fenêtres, pour bien laisser entrer la lumière.
Le motif a donc évolué. Dans mon repérage des abords du futur chantier, j'avais évidemment remarqué les platanes sur les trottoirs. Ils sont imposants par leur taille et leur feuillage et faisaient face au futur bâtiment. Leurs feuilles ont retenu mon attention mais aussi leurs ombres projetées au sol ou sur les murs. Tout en prenant en compte de ces éléments naturels, j'ai également été attirée par un élément urbain, une ferronnerie située sur la porte de la maison voisine.
Le motif que tu as créé a été notamment élaboré avec l'outil digital.
J'ai photographié avec mon appareil numérique les formes de ces feuillages, celles de leurs ombres, et celles de cette porte. Je suis partie de ses photographies. J'ai travaillé cette matière première en sélectionnant certaines images en noir et blanc. Il a d'abord fallu évider chaque image, en sélectionnant des éléments. Puis en utilisant des calques, j'ai superposé les images pour les mélanger et composer le motif, en jouant sur des vides et des pleins, en faisant apparaître et disparaître des éléments. Enfin, j'ai redessiné certaines formes en accentuant ou précisant certains de leurs contours et j'ai détouré la forme obtenue. J'ai obtenu un motif plat, sans profondeur mais fluide : je voulais qu'il esquisse un mouvement limpide.
Il faut préciser, que j'ai travaillé avec les négatifs, j'ai découpé les zones de lumière qui étaient nombreuses, et dont les formes étaient plus franches, bien définies par l'ombre. Et ainsi, finalement la lumière a défini la trouée principale de la plaque, l'ouverture. Il fallait également bien avoir en tête qu'une machine allait re-découper cette forme et donc penser aux pleins et aux vides.
Qui a choisi ce matériau très spécifique qu'est l'inox ?
Les architectes avaient décidé que cette enveloppe serait en matière métallique. Il y a eu deux prototypes, deux plaques, une en inox, l'autre en acier, plus épais, moins facile à la découpe, moins précis.
Nous avons donc choisi l'inox, et la société qui a fait cela a véritablement respecté le dessin. Le prototype a dû être testé par des ingénieurs pour connaître sa prise au vent et les bruits qu'il pouvait éventuellement faire. Ils ont calculé également le pourcentage de lumière qui entrait par les fenêtres de l'édifice une fois le motif posé.
J'ai pensé ce motif comme une dentelle : quelque chose de léger, créant une unité et procurant une sensation de transparence et de lumière. Il était important que le métal reflète la lumière, comme l'eau de l'Erdre, c'est une allégorie. Il prend la lumière et se modifie en fonction de son intensité et de ses couleurs. Chaque panneau est de 1,34 x 2,93 m, la fenêtre est un carreau standard, cette percée devait toute à la fois, faire paysage et laisser entrer un paysage. Une personne m'a raconté qu'un soir quelqu'un lui avait téléphoné, car la façade, qui était rouge avec la lumière du soleil couchant, semblait enflammée. Avec le temps, l'inox va devenir mate, et le bâtiment va encore changé.
Et comment l'ensemble de la surface a-t-elle été pensée et conçue ?
Ensuite, à partir du plan, j'ai conçu toute la façade, pour que la couverture soit bien homogène, et que la répétition du motif, à travers l'agencement de toutes les plaques ait du rythme.
Pour les grandes plaques de la façade, j'ai réalisé deux motifs. L'un est plus découpé et troué que l'autre, il est placé devant les fenêtres. L'autre est placé devant les murs. Chaque motif en constitue un autre par l'agencement de quatre plaques identiques : l'une est à l'endroit, la seconde est retournée, les deux autres font reflet, elles sont retournées à 180 degrés.
Il a fallu également décliner ce motif et faire des panneaux particuliers pour l'adapter à de recoins et des espaces spécifiques du bâtiment. Cette enveloppe a été conçue de manière à ce que l'on ne voit aucune visserie.
C'était un espace gigantesque, le passage de l'ordinateur à l'échelle 1 est sans cesse à penser et à réévaluer. C'est essentiel en tant qu'artiste d'être confronté à l'espace urbain. Je crois qu'il faut donner une vraie présence à l'art dans la ville. Il est vraiment important qu'il y ait plus de dialogues entre l'architecture et l'art, et ce en dehors des 1 %.
Ta proposition n'est pas sans évoquer l'art nouveau.
Les éléments naturels et la ferronnerie nous ramènent à l'art nouveau, à cette histoire et puis aussi à l'art baroque. Le baroque fait partie de mon travail. Le mélange des éléments, une liberté des couleurs. Le baroque laisse de la place à la métamorphose, au mouvement constant.
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